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- Lutte ouvrière n°1714
- Lire : Réédition en poche - Massacres coloniaux, de Yves Benot - 1944-1950 : la IVe République et la mise au pas des colonies françaises
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Lire : Réédition en poche - Massacres coloniaux, de Yves Benot - 1944-1950 : la IVe République et la mise au pas des colonies françaises
Mai 1945 : en France et dans ses colonies d'alors, on fête la victoire militaire contre l'Allemagne nazie. Après bien des péripéties, la bourgeoisie française s'est retrouvée dans le camp des vainqueurs.
En Algérie aussi, on fête cette victoire. Des militants nationalistes entendent utiliser les manifestations et les défilés prévus, pour affirmer publiquement que cette victoire de la liberté compte beaucoup d'exclus, à commencer par les peuples colonisés, dont le peuple algérien.
Dans l'Est algérien, à Sétif et à Guelma, les forces de l'ordre colonial tirent sur des manifestants qui arborent le drapeau algérien mêlé aux drapeaux des puissances alliées, provoquant la colère de la foule. Des Européens sont pris à partie et malmenés. L'émeute gagne toute la région. Des fermes de colons sont incendiées, des cars tombent dans des embuscades...
La répression de ces manifestations de mai 1945 fut terrible. Les Algériens furent bombardés. On a parlé de 45 000 morts. Le Populaire, quotidien du Parti Socialiste alors au gouvernement, en avoua tout juste quelques milliers. Il y eut aussi des milliers d'arrestations, 99 condamnations à mort dont 28 furent exécutées. Les autres prisonniers ne furent libérés qu'en 1962, à l'indépendance de l'Algérie.
Ces événements ainsi que d'autres, qui se sont déroulés à Haïphong au Viêt-nam en 1946, à Madagascar en 1947, en Côte- d'Ivoire en 1949-1950, constituent la matière de ce petit livre d'Yves Benot, récemment réédité.
L'auteur montre que l'histoire de la colonisation française ne fut qu'une suite incessante de spoliations, de vols et de viols des peuples, rythmés par des massacres. Les guerres plus connues dites "d'Indochine" et "d'Algérie" ne furent nullement des exceptions.
La Quatrième République, portée sur les fonts baptismaux par De Gaulle assisté du Parti Socialiste et du Parti Com muniste, s'inscrivait dans la continuité des régimes précédents qui, par-delà les étiquettes et les déclarations d'intentions, ne se souciaient au bout du compte que de la défense et de la promotion des intérêts économiques et politiques des classes riches, que ce soit en France même ou dans les colonies.
Yves Benot rappelle comment, à droite et à gauche, dans les premières années de la ive République, tous les partis parlementaires furent, au gouvernement ou dans l'opposition, les agents directs de la politique coloniale de l'impérialisme français dont la presse se faisait l'écho. Après les événements de Sétif, le quotidien Le Monde n'hésitait pas à prendre fait et cause pour la bourgeoisie française et à parler de "notre politique impériale", s'inquiétant "que notre présence en Afrique du Nord ne soit ouvertement bafouée" et stigmatisant les sentiments nationalistes de nombreux Nord-Africains, "antithèse parfaite de cet humanisme à tendance universaliste qui est la tradition de la France". En somme, il s'agissait pour lui de bombardements humanistes.
On regrette cependant que ce petit livre, par ailleurs intéressant, passe pratiquement sous silence la complicité du PCF avec la politique de l'impérialisme française. La direction du PCF de l'époque défendait en effet la politique dite de "l'Union française", c'est-à-dire purement et simplement les choix de la bourgeoisie française qui cherchait à conserver, coûte que coûte, les colonies dans son giron. Le PCF fit même du zèle en dénonçant les militants nationalistes persécutés par la police coloniale après Sétif comme des agents hitlériens. Il est vrai qu'à la même époque, en ces temps de prétendue "libération", les ouvriers qui en France revendiquaient pour leur salaire ou tout simplement de quoi manger étaient accusés de faire le jeu des trusts.
En réalité, c'est cette politique de solidarité du PCF avec la bourgeoisie française qui fit le jeu de trusts. Elle permit à la fois de reconstruire l'ordre de la bourgeoisie au lendemain de la guerre et de maintenir plus longtemps le carcan colonial.
Yves Bénot a été trop longtemps un auteur publié par le PCF pour que ce silence soit involontaire. Seule la vérité est révolutionnaire ; alors comment qualifier cette attitude qui consiste, cinquante ans après, à continuer de la taire ?
A.V.
Massacres coloniaux, d'Yves Benot, éditions La Découverte/Poche, 203 pages, 49 francs.