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Leur société
Île de la Réunion : Réforme du marché du sucre en faveur des gros producteurs et des industriels
Un projet de réforme de l'Organisation commune du marché du sucre se donnerait, paraît-il, pour objectif de "stabiliser les prix et d'assurer un niveau de vie équitable aux agriculteurs". Mais entre les affirmations des experts et la réalité, il y a place pour toutes les craintes des producteurs (des petits en particulier) et des ouvriers de la filière, quant à leurs revenus, voire leur avenir.
Le commissaire européen en charge du dossier s'est prononcé pour la baisse du prix de la tonne de sucre, qui devrait se faire en plusieurs étapes, jusqu'à 2007. Ce même commissaire a aussi préconisé une baisse de la production et des quotas, ainsi qu'une diminution des aides à l'exportation.
La réglementation actuelle fixe le niveau des quotas attribués à chaque pays. Ces quotas bénéficient de la garantie de prix et d'écoulement. Il y a en fait trois quotas. Le quota A correspond à 98% du prix d'intervention, c'est-à-dire du prix fixé chaque année par les ministres de l'Union européenne. Sa commercialisation est destinée à la France et à l'Europe. Le quota B comptabilise pour sa part la production du sucre exportée sur le marché mondial grâce à des subventions. Enfin, les surplus appartiennent au quota C, dont le prix dépend des seuls cours mondiaux.
Les départements d'outre-mer bénéficient actuellement d'un quota indépendant de celui défini pour la France métropolitaine. Le quota garanti de l'île de la Réunion s'élève à 294648 tonnes.
Quelle réforme ?
Les prix fixés par le système européen donnent la tonne de sucre à 632 euros, ce qui est trois fois plus élevé que le prix du marché mondial (210 euros la tonne). Au sein de l'Organisation mondiale du commerce, de nombreux pays ont donc protesté contre le système européen, jugé trop protectionniste. En 2002 par exemple, l'Australie, le Brésil et la Thaïlande, trois gros pays producteurs de sucre, avaient déposé une plainte contre l'Union européenne. Après maintes rencontres et discussions, une réforme a été présentée par les instances européennes elles-mêmes en juillet dernier, qui prévoit de réduire de 33% le prix du sucre. Il passerait de 632 euros à 421 euros la tonne dans les trois années à venir. Le quota de production communautaire serait lui aussi réduit de 17,4 millions à 16,63 millions de tonnes en quatre ans. Enfin, un coup de frein serait donné aux exportations subventionnées, qui passeraient de 2,4 millions à 400000 tonnes.
Il peut sembler paradoxal que les commissaires et autres experts européens cèdent si facilement sur les prix et les quotas de production, alors que ceux-ci déterminent les profits des gros producteurs et des principaux industriels qu'ils ont pour tâche de défendre. Mais la réforme envisagée ne lèse quasiment pas les producteurs et les industriels du sucre.
Les gros pas perdants
Ainsi, le groupe français Tereos, qui ne possède pas moins de 125000 hectares de canne à sucre au Brésil et à la Réunion et 155000 hectares de terre à betteraves en Europe, dont la majeure partie en France, sans compter ses sucreries et autres distilleries, a lui-même proposé une baisse des prix au commissaire européen. Ce groupe, comme Saint-Louis sucre et d'autres encore, a anticipé la réforme du marché en restructurant ses entreprises, c'est-à-dire en concentrant sa production, en fermant des usines, en supprimant des emplois par milliers, notamment en Picardie. Et ce phénomène n'est pas spécifiquement français. Alors qu'on comptait 240 sucreries dans l'Union en 1990, il n'en restait plus que 135 en 2001.
Et puis, pour qu'aucun des principaux producteurs et industriels ne soit touché, garantie leur a été faite de toucher une compensation d'environ 60% sur la perte de revenus engendrée par la réforme. Pour l'île de la Réunion, c'est une compensation totale qui a été annoncée. Et comme cette compensation devrait être accordée à tous les producteurs, on pourrait penser qu'aucun d'entre eux ne sera lésé. Ce qui n'est pas du tout sûr.
Aujourd'hui, pour s'assurer un revenu décent, le petit planteur, qui ne peut espérer voir sa surface de terre s'accroître, doit produire une canne très riche en sucre, qui va au-delà de 13,8% de teneur. Il reçoit alors un supplément pour une telle production. Mais la compensation à venir pourrait, elle, être calculée non pas sur la teneur en sucre, mais sur la seule quantité de canne produite. Dans ce cas, le petit planteur serait fortement défavorisé.
Par toutes les compensations qu'il offre, l'État se substitue en fait aux industriels. Pourtant ce serait à eux, à ces groupes riches à milliards, d'assurer un prix d'achat correct aux petits producteurs, sous peine de faire face à leur colère, comme ils devraient faire face aussi à la colère de tous les ouvriers qu'ils ont mis dehors et de ceux dont ils s'apprêtent encore à supprimer les emplois.