Les Restaurants du coeur, dans une société sans coeur !09/12/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/12/une1897.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Editorial

Les Restaurants du coeur, dans une société sans coeur !

Les Restaurants du coeur ont rouvert cette semaine, pour la vingtième année consécutive, et les chiffres annoncés par cette association sont une dénonciation de la manière dont une grande partie de la population ne cesse de s'appauvrir. Il y a vingt ans, durant l'hiver 1984-1985, les Restaurants du coeur avaient servi huit millions et demi de repas. L'hiver dernier, c'est huit fois plus, 66 millions de repas, qui ont été distribués. Combien en faudra-t-il cette année? Les Restos du coeur craignent de ne pas faire face.

Officiellement, le taux de chômage n'est pas plus élevé aujourd'hui qu'il y a vingt ans. Mais il s'agit des statistiques officielles. Des milliers de travailleurs sans emploi ont été effacés des listes de l'ANPE. Et surtout le montant des indemnités de chômage, la durée pendant laquelle elles sont versées n'ont cessé d'être revus à la baisse. Le résultat, c'est que le nombre de ceux qui n'ont pour vivre que le RMI est passé en seize ans de 400000 à 1,2 million. À quoi il faut ajouter deux millions de personnes qui n'ont pour toute ressource qu'un des autres minima sociaux, tel que l'Allocation de solidarité spécifique, tout aussi insuffisants.

Cette paupérisation croissante ne touche d'ailleurs pas que les sans-emploi. On a vu apparaître dans les statistiques la catégorie des "travailleurs pauvres", salariés victimes le plus souvent d'un temps partiel imposé, mal payé, qui n'en fait pas des chômeurs mais les conduit à la misère, et parfois à la rue.

Pourtant, la quantité de richesses produites dans le pays n'a pas diminué. Sur les dix dernières années, la croissance a été de 22%. Mais ces nouvelles richesses produites ne profitent qu'à une minorité de privilégiés, pendant que l'ensemble de la population laborieuse voit son niveau de vie diminuer.

Les grandes entreprises affichent des bénéfices confortables. Si leurs PDG ont vu leurs salaires augmenter en moyenne de 10% au cours de l'année écoulée, c'est parce que les gros actionnaires de ces sociétés, ceux qui emploient ces PDG, sont contents de leurs services... et qu'ils ont vu leurs propres revenus augmenter au moins dans la même proportion.

La baisse du niveau de vie de la population laborieuse, l'augmentation du nombre de pauvres d'une part, et la richesse insolente qu'affichent les privilégiés de la fortune de l'autre, ne sont que les deux faces d'une même médaille. C'est parce que les seconds accaparent une fraction toujours plus grande du produit national que les classes laborieuses voient leur niveau de vie reculer.

Cette âpreté au gain de la bourgeoisie, la classe ouvrière la paie de toutes les manières imaginables. Par le chômage, parce que c'est pour pouvoir faire produire autant, voire plus, avec moins de salariés que le patronat multiplie les plans de licenciements. Par des conditions de travail dégradées, des horaires parfois déments, par l'augmentation des maladies liées au travail, justement parce que les patrons demandent plus à ceux qui ont gardé un emploi. Par des salaires qui, non seulement stagnent, mais sont de plus en plus amputés par les dépenses liées à la maladie, de moins en moins bien prises en charge par une Sécurité sociale pillée pour permettre à l'État de multiplier les cadeaux au patronat. Par des services publics laissés à l'abandon pour les mêmes raisons.

Dans cette société où règne la course au profit individuel, règle de conduite des capitalistes, les Restaurants du coeur, comme d'autres associations, jouent un rôle indispensable en permettant à une partie des plus exposés de ne pas sombrer. Mais le fait que, vingt ans après leur fondation, la misère continue de progresser prouve bien que ce n'est pas une solution suffisante.

Ce qui est nécessaire, c'est que le monde du travail contraigne le patronat et l'État à reculer. C'est possible. Cela s'est déjà fait dans le passé. Et il faudra bien le faire un jour ou l'autre.

Arlette LAGUILLER

Éditorial des bulletins d'entreprise du 6 décembre 2004

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