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Ukraine : Vers un nouveau second tour de la présidentielle
Vendredi 3 décembre, la Cour suprême ukrainienne a annulé le résultat de l'élection présidentielle du 21 novembre et annoncé qu'un nouveau second tour de ce scrutin aurait lieu le 26 décembre.
Cette décision reprend la proposition de l'opposition ukrainienne conduite par Viktor Iouchtchenko et constitue un désaveu à l'actuel président, Leonid Koutchma qui, avec le soutien de Poutine, proposait que les deux tours de la présidentielle soient réorganisés dans trois mois avec, pour son clan, un autre candidat que Ianoukovitch, accusé d'avoir organisé des fraudes massives.
Et même si l'opposition dirigée par Iouchtchenko fait des révérences à la population mobilisée contre la fraude électorale et tente de s'en servir pour avancer ses pions, les dirigeants des clans en compétition, et ceux qui les entourent, ne sont pas très différents. Ils sortent tous du même tonneau. Iouchtchenko a été lui aussi un Premier ministre de Koutchma. Et si les uns peuvent préférer conserver des liens avec la Russie, tandis que les autres rêvent d'entrer dans l'Union européenne, même si celle-ci ne leur ouvre pas les bras pour le moment, ce n'est pas parce qu'ils sont plus préoccupés par le sort de la population, mais pour renforcer les avantages économiques, politiques et personnels de leur clan; des clans dont les contours pourraient d'ailleurs changer au fur et à mesure qu'évolue la situation.
Après l'annonce d'une nouvelle élection, le conflit s'est déplacé au parlement, chargé de fournir un emballage légal à la décision de la Cour suprême. Les députés, pourtant majoritairement en faveur du gouvernement sortant, n'ont pas réussi à se mettre d'accord. Certains, convaincus de la victoire de l'opposition à la prochaine élection, voulaient réduire pour l'avenir les pouvoirs du président, tandis que d'autres, alliés de l'opposition, ont marqué des hésitations à la soutenir. Pour tenter d'arriver à un accord, s'est tenue une nouvelle "table ronde", la troisième, réunissant le président, les deux candidats à la présidence, les médiateurs européens et les représentants de la Russie.
Poutine se retrouve maintenant en Ukraine avec une situation qui rappelle celle de la Géorgie se débarrassant de son allié Chevarnadzé pour le remplacer par une autre fraction de l'appareil, plus jeune mais pas moins corrompue. En saluant à deux reprises la victoire de Ianoukovitch, décrite comme "transparente" et maintenant invalidée, en soutenant ensuite la proposition de Koutchma de rejouer toute l'élection, Poutine n'a pas réussi à imposer ses choix. Il en est à inviter les États européens à ne pas s'ingérer dans sa zone d'influence et aussi à se dire prêt à travailler avec "n'importe quel leader élu en Ukraine".
Poutine cherche ainsi à freiner le mouvement centrifuge qui éloigne les États situés à la périphérie de sa zone d'influence, un problème qu'il rencontre sous des formes diverses non seulement en Ukraine et en Géorgie, mais aussi en Ossétie, en Tchétchénie, en Moldavie ou en Biélorussie.
En Ukraine, les deux clans rivaux essayent d'utiliser les tensions de la présente situation à leur avantage. Dans la région orientale, russophone et plus anciennement liée à la Russie puis à l'URSS, le clan Koutchma-Ianoukovitch, qui y garde beaucoup d'influence, s'appuie sur les craintes de la population, qui ne veut pas voir s'aggraver le sort misérable des populations qui ont cru accéder à l'abondance en se livrant aux lois du marché. Le clan opposé, plus influent à l'Ouest du pays et dans la capitale, surfe sur le désir d'indépendance d'une partie de la petite bourgeoisie et sur son aspiration à rejoindre l'Union européenne, dont elle attend des retombées qui lui soient favorables. Il est difficile de dire si la prochaine élection suffira à calmer le jeu.
"On ne peut plus se laisser voler notre destin par trois ou quatre autocrates", scandent les manifestants dans les rues de Kiev. Pour cela, il faudrait qu'ils prennent conscience qu'Iouchtchenko et sa clique, qui aspirent à prendre la place des Koutchma-Ianoukovitch, sont eux aussi des autocrates en puissance.