Michelin (Clermont-Ferrand) : Après le succès de la journée du 321 septembre, quelles perspectives ?24/09/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/09/une-1628.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

Michelin (Clermont-Ferrand) : Après le succès de la journée du 321 septembre, quelles perspectives ?

Plusieurs milliers de travailleurs Michelin en grève, la plupart en bleu de travail venant d'ateliers et d'usines éloignées de plusieurs kilomètres et défilant pendant des heures au centre ville. Voilà ce qu'on n'avait pas revu à Clermont-Ferrand depuis des années.

Un ras-le-bol profond

Cette mobilisation a surpris beaucoup de monde, à commencer par la direction: Edouard Michelin déclarait, trois jours auparavant, avec un cynisme inimaginable, que « le silence du personnel était une preuve de son approbation des mesures de suppression de milliers d'emplois»!

Les commentaires multiples sur la situation Michelin, la santé florissante de ses affaires, la montée spectaculaire de ses actions en Bourse ont fait croire que Michelin devenait le symbole de l'industrie française, un cas d'espèce! Les médias ont une curieuse façon de présenter les choses, faisant semblant d'oublier que des affaires semblables, des milliers de suppressions d'emplois et de licenciements programmés, il y en a à longueur d'année dans bien d'autres secteurs de l'industrie et de la banque, en France et dans le reste du monde.

Une grève qui s'explique

Des usines assez nouvelles, avec des effectifs réduits, quelques centaines de salariés, et dont le statut juridique a été modifié par la volonté des Michelin, n'ont pratiquement plus de syndicats : ce sont les « PU » ou petites unités, certes très modernes pour la technologie, mais pas pour l'ambiance sociale, ni pour les cadences de production ; elles restent à l'écart des discussions et des actions syndicales. Aussi la mobilisation et la grève n'ont-elles touché vraiment que les gros centres à Clermont-Ferrand : les usines de la Combaude, de Cataroux et les ateliers des Carmes. Les bureaux, services administratifs et commerciaux ont été beaucoup moins touchés, mais là encore de façon très inégale. Là où des militants, des délégués actifs sont intervenus et ont cherché à convaincre leurs camarades, leurs équipes de réagir, il y a eu du répondant. On a vu des techniciens sortir et défiler, alors qu'ils ne l'avaient pas fait depuis les grandes grèves des années 1986 ou 1977!

Les tout derniers jours, les militants proches des travailleurs s'attendaient à des réactions. Et cela a des causes multiples.

Outre les conditions de travail s'aggravant, avec ces horaires pesants, le travail de nuit, des samedis et dimanches, il y a l'attitude tellement hautaine de la direction et de certains de ses hauts cadres, qui ont provoqué la colère.

C'est aussi sur les salaires que ça ne va pas du tout. La plupart des ouvriers, malgré 20 ou 25 ans d'ancienneté, ne touchent guère plus de 8 000 F et la direction a accordé 1 % d'augmentation au premier septembre.

Or, d'après les récentes estimations des syndicats, s'appuyant sur des enquêtes de spécialistes économiques, les trois cogérants de la famille Michelin se sont attribués l'an dernier, et vraisemblablement encore davantage cette année, 37,6 millions de francs, soit 35 000 F par jour, chacun ! Et sans même compter les copieux dividendes des actions dont ils possèdent la majorité des parts. Autant dire qu'un François ou un Edouard Michelin reçoivent en un jour l'équivalent de ce que gagne une employée ou un ouvrier en... un an!

Rappelons aussi que depuis la mise en route du premier plan dit « social » de suppressions d'emplois et de licenciements, soit depuis 1983, Michelin, tout comme le reste du grand patronat, n'a vraiment pas eu à se plaindre des gouvernements précédents, gauche ou droite, l'ayant régulièrement arrosé: les aides publiques dépassent pour lui seul dix milliards de francs, tout en faisant baisser les effectifs des usines, de Tours à Bourges ou à ClermontFerrand, de moitié: 30000 salariés dans les usines clermontoises, à peine 15000 aujourd'hui. On imagine les conséquences sur tous les secteurs, transports, sous-traitance, etc.

Ajouté aux cadences, aux horaires de nuit, au travail du samedi et même du dimanche, alterné avec du chômage technique, et maintenant aux menaces supplémentaires de la suppression de 7500 postes, cette fois, c'est trop. Et des travailleurs combatifs l'ont montré par des débrayages anticipés, dans certaines équipes de nuit, qui ont cessé le travail la veille du jour prévu par les syndicats.

Des prises de positions disparates

Le PCF avait délégué la présidente de ses élus au Sénat, Hélène Luc, qui réclama un moratoire sur les licenciements.

Le Parti Socialiste avait envoyé Cambadélis faire une déclaration très vague: il faut discuter avec Michelin avant de lui donner une foie de plus de l'argent pour couvrir son 9e plan social et avec les élus locaux, « il faut tenir compte des outils que la loi met à sa disposition ». Quant à Serge Godard, sénateur-maire de ClermontFerrand, il a parlé de... l'aménagement du territoire !

On a même vu la droite avec Michel Fanget, ex-député UDF, et l'évêque de Clermont, Hyppolite Simon, un spécialiste du marxisme, paraît-il, dénoncer l'aspect immoral et insolent des affaires boursières...

Mais c'est la présence de notre camarade Arlette Laguiller et d'Alain Krivine, qui a marqué l'ambiance de cette journée: de très nombreux travailleurs les ont vus, entourés, sont venus leur serrer la main, et leur dire leur ras-le-bol des conditions de travail et leur colère. Des militants CGT et CFDT ont tenu à les saluer chaleureusement, sous le regard éberlué des responsables syndicaux et politiques. Et le groupe de militants LO et LCR défilant au coude à coude, criant à pleins poumons contre les licenciements, contre Michelin et ses profits, contre le gouvernement et leurs complices, a été fortement remarqué.

Vers quelles perspectives ?

Des militants syndicaux ont débaptisé symboliquement l'avenue Edouard Michelin (au nom du grand-père de l'actuel) pour l'appeler « avenue du Plein Emploi ». Mais pour que cela soit autre chose qu'un symbole, il faudra bien sûr d'autres luttes, plus profondes et prolongées. D'autres journées de luttes sont annoncées. Il est à souhaiter que la journée du 21 septembre ait contribué à redonner confiance aux travailleurs de chez Michelin, et puisse ouvrir la voie à d'autres mobilisations, peut-être avec le reste de la classe ouvrière, pour faire reculer Michelin et ses congénères.

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