Argentine : Des hommes de la dictature eux aussi inculpés12/11/19991999Journal/medias/journalnumero/images/1999/11/une-1635.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

Argentine : Des hommes de la dictature eux aussi inculpés

Le juge espagnol Baltasar Garzon ne veut pas s'en tenir à son succès contre Pinochet, qu'il est parvenu à inculper et à bloquer jusqu'à maintenant en Grande-Bretagne. Le 2 novembre, il a lancé des mandats d'arrêt internationaux contre 98 militaires argentins, les accusant de génocide, terrorisme et torture. Parmi eux figurent des généraux et des amiraux, en plus des huit commandants en chef des juntes successives encore vivants.

En effet les militaires qui ont pris le pouvoir lors du coup d'Etat du 24 mars 1976, et qui l'ont conservé sept ans, ont mené contre les travailleurs, les syndicalistes et tous les militants de gauche une véritable guerre d'extermination. Il s'agissait de mettre fin à l'instabilité politique dans le pays et, surtout, d'enlever à la classe ouvrière tout moyen de résister à l'austérité qu'on lui préparait, à la baisse de moitié de son pouvoir d'achat, à la suppression de ses acquis sociaux. Cette " guerre sale ", comme on l'a nommée, aurait fait près de 30 000 morts, la plupart d'entre eux " disparus " sans laisser de traces dans les geôles et les centres de torture.

Les politiciens argentins " démocrates ", de retour au pouvoir, n'ont rien eu de plus pressé que de disculper l'armée de toute responsabilité dans les crimes de la dictature, assassinats, tortures, enlèvements d'enfants, etc. Le président radical Alfonsin, élu en 1983, ne traduisit devant des tribunaux civils que les neuf commandants en chef des juntes. Tous les autres étaient justiciables des tribunaux militaires, c'est-à-dire étaient jugés par leurs pairs, qui les acquittèrent généreusement au nom du " devoir d'obéissance " qui s'impose au sein de l'armée. Les tortionnaires qui n'ont pas été atteints par la retraite se trouvent donc toujours en poste, souvent promus et récompensés.

Le procès des chefs des juntes s'acheva en décembre 1985. Quatre furent purement et simplement acquittés, dont le général Galtieri. Videla et Massera furent condamnés à la réclusion à perpétuité, les trois autres à 17, 8 et 4 années de prison. Pour des gens que l'on rendait seuls responsables de tous les crimes de la dictature, ce n'était pas cher payé. Et, après une première amnistie en mai 1987, Alfonsin, passant la main au péroniste Menem, amnistia en juin 1989 les derniers militaires qui se trouvaient encore en procès.

Menem, qui avait pourtant été cinq ans en prison sous la dictature, décréta en décembre 1990 le pardon général qui libéra même les chefs des juntes condamnés en 1985. Tout le monde aurait dû être content : les bourreaux libres et poursuivant leur carrière, les survivants consolés par de belles paroles (" Plus jamais ça "), et les disparus morts et enterrés.

Sauf que bien des survivants ne veulent pas oublier. Les Mères ou les Grand-Mères de la place de Mai continuent de manifester contre la disparition de leurs enfants et de leurs petits-enfants. Des travailleurs, des intellectuels, des militants n'acceptent pas la disparition de parents, d'amis ou de camarades, et refusent de pardonner aux bourreaux. D'ailleurs entre-temps le mur de silence et de complicités dressé par les militaires a commencé à se lézarder. Les adoptions par des militaires d'enfants de militants assassinés ont entraîné récemment de nouvelles poursuites contre de haut gradés. Certains d'entre eux sont désormais assignés à résidence. Certains ont reconnu leurs crimes et dénoncé ceux des autres, témoin le livre El Vuelo, dans lequel le journaliste Horacio Verbitsky relate les aveux de l'ex-capitaine de corvette Adolfo Scilingo.

Scilingo avait témoigné en 1997, devant le juge Garzon, des crimes auxquels il avait participé. Après l'inculpation par Garzon de 98 de ses chefs et collègues, il est récemment revenu sur son témoignage. Mais, que l'inculpation de tous ces tortionnaires se traduise par quelques ennuis pour eux, au cas où ils sortiraient d'Argentine, ou que ces procédures finissent par échouer et s'ajoutent à tous les procès inutiles, à toutes les amnisties, à tous les pardons dont ils ont bénéficié, les militants, les travailleurs, la classe ouvrière d'Argentine n'oublieront pas ce qu'ont fait ces bourreaux.

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