Elf : Des méthodes politico-mafieuses21/04/20002000Journal/medias/journalnumero/images/2000/04/une-1658.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

Elf : Des méthodes politico-mafieuses

Mis en examen pour " recel d'abus de biens sociaux au préjudice d'Elf " pour " environ 600 millions de francs ", l'ancien directeur de la branche hydrocarbure d'Elf-Aquitaine, André Tarallo, interrogé par la juge Eva Joly, vient de passer aux aveux et ne s'est pas fait prier pour raconter dans le détail le système des commissions versées aux chefs d'Etat africains ; un système directement lié aux intérêts pétroliers du groupe. Tel est le dernier épisode de " l'affaire Elf ".

André Tarallo sait de quoi il parle, lui, qui a été pendant des années président d'Elf Gabon et d'Elf Congo. Il a, à ce titre, côtoyé de près tous les dictateurs africains avec qui le groupe pétrolier faisait des affaires. Mis en place à la fin des années 1970, ce " système de commissions " permettait de verser des pots-de-vin aux gouvernants des pays producteurs de pétrole, par l'intermédiaire de sociétés écrans contrôlées par Elf. Ces sommes correspondaient à un " petit supplément " du prix payé au baril allant de 1 dollar à 60 cents. Lorsqu'on sait que la production de pétrole se calcule en dizaines de milliers de barils par jour... cela fait un joli magot ! A en croire André Tarallo, cette pratique était fort courante dans le petit monde des requins du pétrole. Et puisqu'il pouvait puiser à discrétion dans les fonds occultes du groupe pétrolier pour " acheter ", " faire des cadeaux " à tel ou tel gouvernant africain, il a fini par utiliser " à des fins personnelles " près de 250 millions de francs ! Ce dont il est aujourd'hui accusé par la justice.

Les " aveux " d'André Tarallo ne surprennent guère. Que le groupe pétrolier Elf-Aquitaine ait versé des commissions, ait eu une pratique politico-mafieuse tout au long de son existence, c'est secret de polichinelle . Car depuis sa création par de Gaulle comme entreprise publique, devenue privée en 1994, Elf est connue pour avoir trempé dans la plupart des coups fourrés du " pré carré " français en Afrique

Véritable pieuvre, aux multiples ramifications, la compagnie pétrolière est passée maîtresse dans l'art d'utiliser des millions de dollars provenant des profits pétroliers pour alimenter les circuits financiers occultes, développer les réseaux d'influence parallèles, susciter les lobbies afin de défendre ses intérêts. Etat dans l'Etat, Elf-Aquitaine a toujours fait la pluie et le beau temps dans bon nombre de pays producteurs de pétrole du golfe de Guinée, en Afrique équatoriale, faisant et défaisant les gouvernements au gré de ses intérêts ; et ce avec la bénédiction des gouvernements français successifs, de De Gaulle à Mitterrand, en passant par Pompidou et Giscard d'Estaing.

Les différents présidents d'Elf, d'Albin Chalandon à Loïk Le Floch-Prigent, de 1989 à 1993, sans oublier Philippe Jaffré à partir de 1994 jusqu'à la récente fusion avec Total, pour ne parler que des plus récents, se sont toujours appuyés sur les pires dictatures, comme celle du Gabon, maintenant la population dans un état de soumission permanent permettant de piller tranquillement les richesses du sous-sol africain. Tout ce qui compte : c'est que le pétrole coule à flots dans les tankers affrétés par Elf et que les millions de dollars entrent dans les caisses de la compagnie.

Ainsi, aujourd'hui le Gabon est un mini-Etat pétrolier, propriété quasipersonnelle d'Omar Bongo et d'Elf. Bien en cour à Paris, ce dictateur règne sans partage sur ce pays d'Afrique équatoriale et est aux petits soins pour la compagnie pétrolière qui a contribué à l'enrichir et à le maintenir au pouvoir depuis plus de trente ans. Même chose au Congo-Brazzaville où, après avoir payé la campagne électorale et favorisé l'élection de Pascal Lissouba, Elf lui a retiré son appui car il s'avérait trop gourmand et ouvrait le pays aux compagnies pétrolières américaines. En accord avec le gouvernement français, Elf a alors discrètement favorisé le retour au pouvoir de Denis Sassou Nguesso, appuyé par l'armée de l'Angola voisin (avec qui Elf venait de signer de nouveaux contrats d'exploitation pétrolifère). Que Sassou Nguesso soit revenu en 1997, aux commandes du Congo d'une terrible guerre civile, qui a ravagé la capitale Brazzaville et fait des milliers de victimes, n'a pas empêché Philippe Jaffré d'aller faire allégeance au nouvel homme fort du pays... pour que le pétrole puisse de nouveaux couler à flots.

Elf, après avoir été privatisée, a été aspirée par sa rivale Total (qui s'est distinguée en employant des méthodes similaires en Birmanie). Mais même sous un nouveau nom et sous un nouveau visage, la compagnie pétrolière n'en continue pas moins de s'appuyer sur les mêmes réseaux d'influence usant des mêmes sales méthodes pour piller le pays.

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