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Tribune de la minorité
Avec Poutine, pas de pause dans la lutte de classe
A l'occasion de la tournée de Chirac en Russie, en début juillet, les médias français se sont une nouvelle fois fait le relais des jérémiades des patrons occidentaux sur la " difficulté d'investir " dans ce pays, l'opacité et la confusion juridiques, et autres dédales bureaucratiques voire mafieux...
Ce n'est pourtant que l'anarchie du capitalisme lui-même, quand il se développe dans un pays aussi pauvre que la Russie, en " transition " vers l'économie de marché.
L'Etat russe aide d'ailleurs du mieux qu'il peut les apprentis bourgeois qui tentent de trouver leur place dans la nouvelle Russie capitaliste, tout en se faisant la guerre entre eux. Avec justement cette anarchie pour conséquence. Ainsi, le crash d'un Tupolev en Sibérie - 145 morts - vient d'éclairer l'état de délabrement d'une partie de l'ancienne Aeroflot soviétique : son monopole sur les vols et les aéroports a été éclaté en 1991 en 500 compagnies. Autant de petites compagnies irresponsables, dotées d'appareils d'un âge avancé, qui remplacent le moins possible leurs avions et économisent sur la maintenance et l'entraînement des pilotes. Pourvu que le capital puisse s'accumuler...
Un crash social
Le gouvernement n'est pas aussi libéral à l'égard des travailleurs.
Poutine a réussi au début du mois à faire adopter par la Douma un nouveau code du travail. L'ancien était en quelque sorte le reflet de l'ancienne société soviétique, industrialisée mais pauvre, où les travailleurs étaient soumis à la pénurie et à la répression politique, tout en recevant quelques garanties : l'accès à l'emploi, une sécurité relative dans la satisfaction de quelques besoins essentiels, concernant le logement, les services médicaux, l'éducation des enfants.
Ce code du travail hérité de la période soviétique n'était que peu contraignant, puisqu'allègrement violé par les employeurs, avec la bénédiction de toutes les autorités. La violation la plus flagrante est bien sûr le non-paiement des salaires, pratique courante qui frappe des millions de travailleurs pendant de longs mois. En février 2000, la " dette salariale " s'élevait à 44 milliards de roubles (environ 11 milliards de francs). Près du tiers de ce vol à grande échelle est le fait de l'Etat et des administrations régionales. L'exemple vient de haut. C'est aussi, pour les employeurs, qu'ils soient propriétaires privés ou directeurs d'usines, l'occasion de détourner de l'argent pour se constituer un capital, assurer leurs placements financiers, voire acheter l'usine qu'ils dirigent !
Avec les fermetures massives, l'inflation, ou encore la dégradation des systèmes de santé et d'éducation, c'est un aspect parmi d'autres d'une situation sociale catastrophique. La grande majorité de la population a basculé dans la misère (35 % de la population vit officiellement au-dessous du seuil de pauvreté officiel, fixé à... 200 F par mois !).
Un nouveau code réactionnaire
Dans ce contexte de chômage et de misère, les patrons se sentent donc bien peu liés par le code du travail ! Le gouvernement a tout de même voulu officialiser et consolider cette situation, en promulguant un nouveau code, " plus adapté aux exigences de l'économie moderne " selon un conseiller du ministre du travail... Dans son style, le projet du gouvernement a même été rapproché de codes en vigueur dans l'Occident capitaliste, plus favorables à la précarité, à la flexibilité, aux droits des employeurs d'exploiter en toute liberté !
Quelques exemples : la durée légale d'une journée de travail peut passer de 8 à 12 heures. L'ancien code autorisait les heures supplémentaires " avec accord des syndicats ", et elles étaient limitées à 4 heures tous les 2 jours, 120 heures par an. Le nouveau code les porte à 4 heures par jour, 12 heures par semaine, 120 heures par an, sans accord syndical. Mais, s'il y " accord du travailleur " (et on sait bien ce que veut dire ce genre de " volontariat ", même en France !), 16 heures par semaine, 832 heures par an. Sont autorisés sans limitation de durée ni précision dans la rémunération : les réductions unilatérales du temps de travail (le " chômage technique "), les mutations, les remplacements, les emplois temporaires. Contrats précaires et licenciements sont largement libéralisés. La majoration du travail de nuit passe de 100 % à 20 % seulement.
Autre exemple de régression sociale : la législation sur le travail des femmes est en grande partie démantelée. Le travail de nuit, jusqu'alors interdit aux femmes enceintes et aux mères de jeunes enfants, est autorisé pour ces catégories, le congé maternité est ramené à 18 mois, contre 18 mois payés et 3 ans sans solde auparavant. Les employeurs, enfin, obtiennent le droit que s'arrogeait naguère l'appareil policier de la bureaucratie : ficher leurs salariés et constituer des " listes noires ", en réunissant des informations sur leur vie privée, syndicale et politique.
La liberté pour les patrons, la contrainte pour les travailleurs : c'est le capitalisme sans fard.
L'adoption par la Douma de ce code est un nouveau succès " parlementaire " pour Poutine, qui a déjà fait passer ces derniers mois une réforme politique (la limitation du nombre de partis " légaux ", en fonction de leur " représentativité "), une réforme du code foncier (qui autorise la propriété et la vente des terrains autres qu'agricoles), et une réforme fiscale : l'impôt sur les bénéfices des entreprises est fortement diminué, passant de 35 à 25 %. En 2000, l'impôt sur le revenu des particuliers avait déjà été réduit à un taux unique de 13 %, ce qui favorise outrageusement les riches. Une conception bien bourgeoise de l'égalité !
Sous la houlette de Poutine, l'Etat russe continue ainsi l'oeuvre entreprise dès avant la fin de l'URSS : restaurer les rapports capitalistes de production, encourager par tous les moyens le développement de la bourgeoisie. Quitte à faire sombrer toute la société.