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Leur société
La Réunion : Quand les autorités françaises déportaient des enfants
Le 30 janvier 2002, Jean-Jacques Barbey, un Réunionnais d'origine vivant dans le département de la Creuse, a engagé un recours contre l'État français devant le tribunal administratif de Montpellier parce qu'il considère avoir été victime d'une déportation, à l'âge de 7 ans, de la Réunion vers la France. Il demande un milliard d'euros de dédommagement.
Son histoire est celle de près d'un millier d'enfants réunionnais qui, dans les années soixante, sont venus " repeupler " certains villages de plusieurs départements français et, surtout, servir de main-d'oeuvre rurale. La Creuse à elle seule, a " accueilli " plus de 300 de ces enfants.
C'est la DDASS qui, avec l'assentiment des autorités réunionnaises et la complicité de politiciens français, s'était chargée d'organiser la déportation de ces enfants qui eurent le malheur d'être nés de familles pauvres, dont beaucoup retiraient leurs enfants très tôt de l'école pour qu'ils les aident aux tâches domestiques.
Les services sociaux connaissaient bien ces familles et n'eurent aucun mal à établir des listes d'enfants, dont certains furent littéralement enlevés à leurs parents pour être placés dans des foyers isolés des hauts de l'île. Un séjour intermédiaire avant le grand départ !
Un ancien pensionnaire racontait récemment que, dans son foyer, les plus petits dormaient à 200, voire 250 dans un seul dortoir, si bien qu'il fut content de quitter le foyer lorsque les responsables crièrent un soir : " Qui veut partir ? " Il était loin, dit-il, de se douter que ce qu'il prit pour une libération allait devenir une prison de l'autre côté de l'océan.
Et cela a fonctionné ainsi pendant plus de six ans ! Six années durant lesquelles les administrations ont su profiter du désarroi des parents pour leur arracher leurs enfants.
Les agents de la DDASS leur faisaient croire, par exemple, que ces derniers allaient partir quelque temps en France et revenir avec des bagages et de bons métiers, que de toute façon, chaque année, ils reviendraient pour les vacances. Mais une fois les enfants partis, les parents n'ont plus eu de leurs nouvelles.
Depuis 1993, les langues ont commencé à se délier et la chape de plomb se soulève petit à petit. On découvre, trente ans après, que les procédures d'abandon et d'adoption ont été truffées d'irrégularités et on admet (un peu tardivement !) que des parents n'ont peut-être pas compris ce qu'ils ont signé, ne sachant ni lire ni écrire.
A peine débarqués, avec pour seuls bagages leur numéro de matricule délivré par la DDASS, les enfants se sont retrouvés dans les champs à travailler en plein hiver ! L'ancien directeur du foyer départemental de l'enfance à Guéret a bien essayé, à l'époque, de sensibiliser les élus de la Creuse et de la Réunion sur le sort réservé aux enfants. Il racontait, dit-il aujourd'hui, cette anecdote d'un paysan qui un jour avait débarqué dans son bureau en lui demandant s'il pouvait avoir " un petit noir de La Réunion qui serait d'accord pour dormir sur une paille, mais qui travaille bien... " Ses cris d'alarme ne touchèrent pas le Premier ministre de l'époque, Pierre Mesmer, encore moins celui qui fut sans doute l'instigateur de ce plan infâme, le député de la Réunion, Michel Debré.