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- Lutte ouvrière n°1769
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Leur société
Michel Launay et Yannick Marie enfin libérés
Du 12 au 14 juin, la cour d'assises d'Angers jugeait en appel deux militants de AC !, Michel Launay et Yannick Marie, condamnés respectivement à dix ans et cinq ans de prison en octobre 2000 au Mans. Ils étaient accusés d'avoir provoqué la mort d'Isabelle Ferron, une militante d'un mouvement de chômeurs indépendant, au cours d'une altercation entre les deux associations, le 27 mai 1998. La police et la justice s'étaient à l'époque empressées de trouver des coupables parmi les chômeurs, d'abord parmi les propres camarades d'Isabelle, pour finalement inculper et condamner Michel Launay et Yannick Marie, qui tous les deux niaient pourtant avoir porté des coups à Isabelle.
Ce sont les liens créés pendant le mouvement de 1998 qui ont permis que ce deuxième procès ait lieu. Les nouveaux défenseurs des accusés, Mes Irène Terrel et Jean-Jacques De Felice, se sont employés à faire témoigner tous ceux qui n'avaient pas été cités lors du procès du Mans : les amis d'Isabelle et ceux des deux accusés, dont certains se sont rapprochés au cours des années qui ont suivi le drame. Les médecins du SAMU, plusieurs experts en médecine légale et plusieurs personnalités ont apporté leur contribution : 36 témoins au lieu de 6 dans le premier procès !
Il est évident que celui-ci avait été bâclé. Par exemple, le SAMU n'avait pas été entendu. Et surtout, les médecins légistes avaient conclu à un décès par " tentative de strangulation à deux mains ", ce qui a conduit à la condamnation que l'on sait. Mais d'après les experts, l'autopsie elle-même ne permettait pas de déterminer la cause du décès. Il aurait fallu la compléter par des examens complémentaires pour choisir entre plusieurs hypothèses. La défense a alors demandé une contre-expertise, mais surprise : le coeur et le poumon ne figuraient pas parmi les prélèvements conservés sous scellés. Ni le coeur ni aucun organe n'avaient été pesés : faute de balance, diront les médecins légistes ! Les prélèvements d'organes étaient mal conservés : mis dans le formol, mais aussi congelés, ils se révèlent inutilisables car trop dégradés. Pour compléter le tableau, les médecins ont déclaré être obligés de récupérer des bocaux de confiture pour recueillir les pièces anatomiques...
L'impression demeure donc que, après la malheureuse et tragique bagarre de mai 1998, police et justice se sont empressées de trouver des coupables, sans chercher à savoir ce qui s'était réellement passé. Maintenant, l'absence du coeur et des poumons compromet définitivement les chances de savoir de quoi Isabelle est morte, mais les experts ont tous écarté la possibilité de la strangulation qui avait été à la base du premier procès. L'avocat général a pinaillé tout au long du procès sur telle ou telle règle de procédure, se faisant le champion du " droit égal pour tous " . Mais il ne s'est pas ému de ces erreurs grossières et du fait que personne ne se sentait responsable de la disparition des organes les plus importants ! Le fait que ce jugement hâtif ait pu envoyer deux innocents en prison ne l'a pas touché, puisqu'il a demandé la même peine que celle requise en première instance : huit ans pour Michel qui avait tenté de retenir Isabelle en la ceinturant et quatre ans pour Yannick, parce qu'il lui avait tenu le poignet quelques instants.
Les jurés et les trois juges n'ont pas suivi l'avocat général. S'ils ont refusé l'acquittement, ils ont cependant réduit la peine des accusés à la durée qu'ils ont effectuée en préventive : quatre ans au lieu de dix pour Michel et deux ans au lieu de cinq pour Yannick. C'est une demi-mesure car si, ainsi, la justice reconnaît d'une certaine manière que Michel et Yannick n'ont rien à faire en prison, elle refuse d'admettre qu'elle s'est trompée et que les deux accusés sont innocents.
On pouvait se douter d'un tel verdict à la manière dont se sont comportés certains magistrats tout au long du procès. Leur attitude était ouvertement hostile aux accusés. Par ailleurs, autant ils se montraient polis et courtois avec les témoins prestigieux (experts, personnalités), autant ils étaient odieux avec les militants chômeurs cités par la défense, leur coupant la parole, leur parlant avec mépris... un mépris qui s'est manifesté non seulement vis-à-vis des accusés et des témoins, mais aussi vis-à-vis de la victime que la justice prétendait pourtant défendre. L'expression " justice de classe " semblait vraiment à sa place au cours de ce procès.
Le verdict a été accueilli avec réserve, car le tribunal a refusé de reconnaître l'erreur judiciaire. Reste qu'il permet à Yannick et Michel d'être libérés rapidement, et qu'il a donc été un soulagement pour eux et pour tous ceux, dont ses deux avocats, qui se sont battus pour cela ; dont tous les amis d'Isabelle, qui ne souhaitaient pas qu'à sa mort malheureuse s'ajoute la condamnation injuste de Yannick et de Michel.