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Côte-d'Ivoire : Vers la guerre civile ?
La rébellion militaire qui a éclaté en Côte-d'Ivoire le 19 septembre a déjà fait officiellement plus de trois cents morts. Le président-dictateur Laurent Gbagbo a lancé un appel aux forces armées gouvernementales pour écraser les soldats rebelles, tout en désignant les travailleurs immigrés du pays comme boucs émissaires. Pour éviter la déroute de l'armée ivoirienne, incapable jusqu'à présent d'enrayer la progression des rebelles dans le nord du pays, Gbagbo a reçu l'appui militaire de l'impérialisme français et de soldats nigérians. Les autres États d'Afrique de l'Ouest ont décidé d'envoyer, à leur tour, une force de plusieurs milliers de soldats, officiellement pour s'interposer entre les belligérants.
Révolte militaire et... règlements de comptes au sommet
A l'origine de cette rébellion, il y a apparamment le malaise de certaines unités de l'armée qui devaient être prochainement démobilisées. Ces unités avaient été recrutées par le général Robert Gueï lorsqu'il s'était emparé du pouvoir par un coup d'État en décembre 1999. Battu par Laurent Gbagbo, le candidat " socialiste " du FPI (Front populaire ivoirien) lors des élections présidentielles truquées d'octobre 2000, Robert Gueï avait préparé un autre coup de force mais fut stoppé par un mouvement populaire. De là à penser que Gueï aurait pu être tenté à nouveau de s'appuyer sur les mutins... il y avait un risque que certains clans du pouvoir n'ont pas voulu courir. Cela pourrait expliquer l'assassinat de l'ex-général putschiste. L'opposant Alassane Ouattara a lui aussi failli être " liquidé " par les gendarmes venus " l'aider " ... avant de trouver refuge à l'ambassade de France !
Que la révolte d'une partie de l'armée se conjugue avec des règlements de comptes entre différentes factions rivales au sommet de l'appareil d'État en pleine déliquescence n'a rien d'étonnant. Depuis la mort du dictateur Houphouët-Boigny, ses " héritiers " multiplient les coups fourrés, les faux complots et les vrais coups d'État, prétextes à des règlements de comptes sanglants. Ainsi Robert Gueï a chassé Henri Konan Bédié par un coup de force, écarté Alassane Ouattara, l'ancien Premier ministre, en le déclarant inéligible à cause de son origine burkinabé. Ainsi Laurent Gbabgo, le " socialiste " , au terme d'une campagne électorale xénophobe et d'élections truquées, s'est hissé au pouvoir en octobre 2000.
L'impérialisme responsable de la crise ivoirienne
Depuis plusieurs décennies, la haute hiérarchie militaire et les politiciens corrompus ont pillé l'économie du pays, se sont enrichis scandaleusement, pendant que la population pauvre, toute première victime de la crise économique, survivait - et survit toujours - dans une misère effroyable.
Au temps de la dictature d'Houphouët-Boigny, l'enrichissement passait par l'appartenance au parti unique. La mort du dictateur a réveillé les appétits et les différentes factions rivales se sont déchirées pour accaparer le pouvoir et profiter de ses prébendes. Mais surtout elles ont toutes eu recours à l'arme de la xénophobie, en l'occurrence " l'ivoirité " , expression du nationalisme le plus exacerbé, afin de protéger leurs intérêts, de diviser les masses pauvres ivoiriennes et détourner ainsi leur colère contre d'autres masses encore plus pauvres : les travailleurs immigrés burkinabés, maliens, sierra-léonais, qui sur un total de seize millions d'habitants en représentent près de quatre !
Tout cela se passe dans le contexte du marasme économique qui frappe le pays de plein fouet et dont les multinationales des grandes puissances impérialistes portent l'entière responsabilité. Car ce sont elles qui ont spéculé durant les deux dernières décennies sur les cours des matières premières, du cacao et du café, principales richesses du pays, jusqu'à provoquer l'effondrement de l'économie ivoirienne, acculant ainsi à la ruine des millions de petits planteurs, de paysans et d'ouvriers ivoiriens.
Dans cette situation, il était tentant pour les cliques politiciennes qui se disputent le pouvoir au service de la bourgeoisie, de donner dans la démagogie ethniste et xénophobe. Mais cette démagogie a des conséquences désastreuses, dans ce pays qui compte une soixantaine d'ethnies et où les immigrés représentent une part importante du monde du travail et de la paysannerie pauvre. Elle a accentué les divisions entre les différents peuples qui vivent dans le pays et creusé un fossé entre les masses pauvres du nord et du sud, entre musulmans et catholiques, entre Burkinabés et Ivoiriens. L'implosion de la Côte-d'Ivoire aujourd'hui, avec le risque de guerre civile, de massacres ethniques que cela implique comme l'on a vu dans des pays voisins comme le Liberia ou la Sierra-Leone, n'est pas une simple vue de l'esprit. Elle peut très vite devenir une réalité, étant donné la décomposition de l'appareil d'État et les rivalités exacerbées au sein de la bourgeoisie ivoirienne, où une simple rébellion militaire peut ébranler tout l'édifice social tant il est vermoulu. Et aujourd'hui cette crise politique et sociale que traverse la Côte-d'Ivoire est peut-être en train de déboucher sur une guerre civile, ce qui pourrait à terme aboutir à l'éclatement du pays.
" L'ivoirité " ou la démagogie des cliques dirigeantes qui divisent les masses pauvres.
Affaibli par la rébellion d'une partie importante de son armée, Laurent Gbagbo exploite de nouveau la xénophobie qui lui avait si bien réussi lors de la dernière campagne présidentielle et qui s'était soldée par plusieurs massacres dont celui de Yopougon, un quartier populaire d'Abidjan. Derrière " la main de l'étranger " et " des terroristes " qui selon lui seraient à l'origine de la révolte des soldats de Bouaké et de Korhogo, Gbagbo désigne en réalité les millions d'immigrés burkinabés à la vindicte populaire et à la hargne policière. Les représailles ne se sont donc pas fait attendre et, dans les premiers jours qui ont suivi la révolte militaire, les forces de l'ordre, en premier lieu la gendarmerie, ont multiplié les exactions et les raids punitifs, laissant libre cours à leur haine anti-immigrés, incendiant quatre mille masures du bidonville d'Agban à Abidjan, jetant à la rue des milliers de travailleurs pauvres burkinabés ou sierra-léonais après qu'ils avaient été dépouillés de leurs maigres économies par la soldatesque !
Aujourd'hui, Laurent Gbagbo attend son salut de l'aide militaire de l'impérialisme français venu lui prêter main-forte et de l'intervention de l'Ecomog, le bras armé des dictatures d'Afrique de l'Ouest, qui devrait dans les prochains jours déployer ses troupes aux côtés des forces gouvernementales en Côte-d'Ivoire. Les masses pauvres ivoiriennes et burkinabés ne peuvent rien attendre de bon du régime de Gbagbo. Elles ne peuvent rien attendre de bon non plus des militaires rebelles dont les objectifs politiques restent obscurs et qui, même s'ils canalisent incontestablement une partie du mécontentement des masses populaires du nord du pays tant la haine du régime actuel est grande, sont loin de représenter les intérêts de la paysannerie pauvre des campagnes et des ouvriers des villes.