Italie : Comment une gauche discréditée cherche à se refaire le visage21/11/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/11/une1790.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Italie : Comment une gauche discréditée cherche à se refaire le visage

Des centaines de milliers, voire un million de participants selon les organisateurs, la manifestation de Florence du samedi 9 novembre a été un succès incontestable. Le " forum social " anti-mondialisation tenu dans la ville les jours précédents s'est ainsi conclu par une vaste manifestation, axée contre la guerre en Irak, qui a témoigné de l'opposition à cette guerre d'une large partie de l'opinion italienne.

Mais cette manifestation n'a pas été que cela. Elle a montré aussi comment un certain nombre de personnalités politiques entendent se présenter pour apparaître, d'ici quelque temps, comme une alternative au gouvernement Berlusconi au pouvoir en Italie.

Tout comme les partis de gauche français, les partis de gauche italiens sont sortis passablement discrédités de l'expérience de gouvernement. Le centre-gauche, et en particulier le parti des DS (les " démocrates de gauche ", l'ex-Parti Communiste Italien), a gouverné pendant cinq ans avant d'être remplacé en mai 2001 par la majorité de droite de Berlusconi, décevant passablement son électorat populaire par sa politique pro-patronale et anti-ouvrière.

Retournés à l'opposition, les DS sont donc aujourd'hui en crise. Un important secteur du parti, le " correntone " (le " grand courant ") conteste D'Alema et Fassino, aujourd'hui encore à la tête des DS et décidément trop compromis en tant que principaux responsables de la politique du précédent gouvernement.

Depuis quelque temps, les diverses manifestations contre la politique de Berlusconi sont donc aussi des occasions, pour un certain nombre de responsables, de tenter de surmonter le discrédit de la gauche, profitant du fait qu'elle est dans l'opposition pour lui donner un nouveau visage.

Au mois de septembre, cela a été la grande manifestation à Rome des " girotondi " (" les rondes ") à l'initiative de diverses personnalités de gauche, dont le cinéaste Nanni Moretti. Celui-ci appelait à exprimer de façon festive, par des rondes la main dans la main, aussi bien l'opposition à Berlusconi que le désir de voir la gauche changer de visage.

Mais surtout, depuis quelques mois, ce qui est en route est ce qu'on pourrait appeler l'opération Cofferati. Sergio Cofferati était jusqu'à ce mois de septembre le secrétaire général de la CGIL, la CGT italienne, principal syndicat du pays, et à ce titre il porte une grave responsabilité dans le soutien que cette centrale a apporté pendant cinq ans à la politique anti-ouvrière du centre-gauche. Mais depuis l'arrivée de Berlusconi, la CGIL a changé d'attitude. Elle s'est notamment largement mobilisée en appelant à la grève générale, en avril et encore le 18 octobre, contre le projet du gouvernement de supprimer " l'article 18 " du statut des travailleurs qui réprime les licenciements abusifs.

La CGIL et son leader Cofferati se sont ainsi redonné un visage combatif. Cofferati, après avoir remis son mandat de secrétaire général à son successeur Epifani, a déclaré qu'il n'avait pas de projet politique et qu'il retournait travailler à son ancien poste de technicien chez Pirelli à Milan. Mais depuis, il se montre dans toutes les manifestations, toujours acclamé aux cris de " Sergio, Sergio ! ". Au cours de ses interviews, il laisse entendre que les D'Alema et Fassino doivent se retirer, qu'il faut un nouveau projet de gauche, plus social, passer un accord sur la gauche avec Rifondazione Comunista (la fraction " maintenue " de l'ancien PC) et son leader Bertinotti, et aussi écouter, voire s'inspirer du mouvement " anti-mondialisation "...

Après une apparition bien calculée à la manifestation des " girotondi " en septembre, Cofferati a donc été au centre de l'attention lors de la manifestation de Florence ; d'autant plus que celle-ci a dû une grande part de son succès à la CGIL. Tout l'appareil de celle-ci et son service d'ordre ont en effet été mobilisés pour organiser les cars et les trains spéciaux amenant les manifestants de tout le pays, y compris parfois malgré les réticences des bureaucrates CGIL qui ne voyaient pas ce qu'ils allaient faire là.

L'OPA sur l'" anti-mondialisation " a donc réussi, et on a même vu des dirigeants de la gauche française comme Hollande venir faire eux aussi leur petit tour à Florence. Après quoi le bon déroulement de la manifestation a valu aux organisateurs des compliments, y compris de la part du président de la République italienne, des leaders les plus modérés du centre-gauche et même de certains représentants du gouvernement. Mais en même temps, le mouvement dit " anti-mondialisation " a semblé se fondre dans les rangs de la CGIL, de Rifondazione, des diverses associations catholiques et de quelques " girotondi ", tandis que Cofferati s'est affirmé encore un peu plus comme le possible futur leader de la gauche ; une gauche qui se dit encore en formation, dont on sait qu'elle voudrait avoir un visage nouveau, mais dont on ne sait toujours pas ce qu'elle propose ni en particulier ce qu'elle critique de sa politique passée au gouvernement. Sur tout cela, les Cofferati, les Bertinotti, les Moretti, les hommes du " correntone " des DS préfèrent rester dans un flou artistique.

Il y aurait pourtant urgence à définir les objectifs d'une organisation syndicale comme la CGIL, et aussi des diverses organisations qui se disent de gauche, au moment où les attaques anti-ouvrières se multiplient de la part de Berlusconi et du patronat. Par exemple, c'est le 2 décembre que les patrons de Fiat ont fixé l'échéance des 8 100 suppressions d'emplois qu'ils ont programmées dans le groupe. Les travailleurs de l'usine Fiat de Termini Imerese, dans le Sud, promise à la fermeture, tentent désespérément de s'y opposer en bloquant tour à tour les autoroutes, l'aéroport ou le port de Palerme. Mais la CGIL ne semble pas pour autant envisager de sortir des protestations rituelles, et des invocations tout aussi rituelles au gouvernement pour que celui-ci fasse quelque chose en incitant Fiat à avoir un " véritable plan industriel "...

Pourtant, si Fiat réussit ainsi à se débarrasser de 8 100 travailleurs, aucun ouvrier en Italie ne pourra se considérer à l'abri du licenciement. C'est aujourd'hui, autour de la défense des travailleurs de Fiat, que pourrait s'organiser vraiment la lutte pour interdire les licenciements, en finir avec la précarité, étendre la protection de " l'article 18 " contre les licenciements abusifs à tous les travailleurs.

Le succès des manifestations organisées ces derniers mois par la CGIL montre que celle-ci aurait parfaitement la force d'organiser une telle lutte, et c'est bien cela qui serait aujourd'hui le plus important pour l'avenir de la classe ouvrière. Mais les dirigeants de la CGIL semblent plus préoccupés de se mobiliser pour sponsoriser l'ancien secrétaire général et lui préparer, si possible, un avenir politique à la tête d'une gauche refigurée et ayant réussi à faire oublier ses trahisons, que de préparer réellement cette riposte de la classe ouvrière.

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