Galice (Espagne) : En plus de la marée noire, l'incurie des autorités05/12/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/12/une1792.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Galice (Espagne) : En plus de la marée noire, l'incurie des autorités

En Espagne, la côte de Galice était encore gluante du fuel du Prestige qu'une seconde nappe pétrolière, estimée à 9 000 tonnes arrivait sur les rivages. Et il n'est pas dit que le désastre soit achevé.

La plongée du sous-marin de grande profondeur Nautile a révélé que l'épave du tanker, qui gît par plusieurs milliers de mètres de fond, ne semble pas fuir pour le moment. Il y aurait là les trois quarts des 77 000 tonnes de pétrole lourd qu'il avait embarquées. Or on ne sait pas pomper à de telles profondeurs. Que se passera-t-il quand la rouille percera petit à petit les citernes ? Il est probable que dans les mois ou les années à venir le pétrole sera rejeté dans l'Atlantique, et peut-être à nouveau sur les côtes de Galice.

L'exaspération

A Saint-Jacques-de-Compostelle, la capitale historique de la province, une énorme manifestation (on parle de 300 000 personnes) s'est déroulée le dimanche 1er décembre. Les manifestants ont dénoncé l'inertie des autorités espagnoles, celles de Madrid mais aussi celles de la province, dont le président n'a pas voulu interrompre sa partie de chasse à l'annonce du naufrage. Le reste est à l'avenant. Ceux qui ramassent les déchets du Prestige sont essentiellement des bénévoles, souvent des étudiants. Ils n'ont que des gants jetables serrés aux poignets par du scotch, et des combinaisons fragiles qui se déchirent. Pas d'outils, pas d'instructions pour expliquer qu'il est dangereux de respirer les résidus pétroliers. Bref, les autorités se désintéressent de la situation. L'armée intervient à peine. Du coup la manifestation a pris une tonalité nettement antigouvernementale, et le Premier ministre s'est bien gardé d'y venir.

En fait, les autorités attendent que l'océan " fasse son travail " et accepte de " digérer " le fuel du Prestige. Les mers et océans du globe " digèrent " bien, bon an mal an, un million de tonnes de résidus dus au dégazage des navires pétroliers. Alors, pensent-ils sans doute, un peu plus un peu moins...

Toujours rien contre les pavillons de complaisance

L'annonce qu'une nouvelle poubelle des mers, le Byzantio, allait partir du même port estonien que le Prestige, avec une cargaison semblable de 50 000 tonnes, a jeté la consternation. En outre c'est le même affréteur, Crown Resources, qui vient d'envoyer le Byzantio apparemment au même endroit, à Singapour ou en Indonésie, pour honorer le contrat du Prestige.

A cette annonce, on nous dit que Chirac serait intervenu personnellement auprès des autorités estoniennes pour qu'elles fassent inspecter le navire. Ce qu'elles ont fait, disent-elles. Ensuite le Byzantio est parti et devrait croiser au large de la Bretagne vers le 4 décembre, puis vers l'Espagne un peu plus tard. La tempête continue d'y sévir et ni Chirac ni Aznar n'ont apparemment d'autres moyens de lutte contre les pavillons de complaisance et les navires pourris que de croiser les doigts, en espérant que, si le Byzantio casse, il veuille bien le faire dans l'océan Indien plutôt que dans l'Atlantique...

La responsabilité des capitalistes de la mer

Il serait pourtant facile de lutter contre les navires hors d'âge et les pavillons de complaisance, si les principaux États voulaient le faire, et en premier lieu les États-Unis, premier utilisateur de ces pavillons.

Pour se prémunir d'une nouvelle marée noire, les autorités américaines, à la suite de la catastrophe de l'Exxon Valdez en 1989, ont interdit aux pétroliers anciens de venir dans leurs ports et ont même imposé les doubles coques. Pour le moment les doubles coques, qui sont des navires neufs, n'ont pas eu d'accident, mais lorsqu'ils vieilliront il n'est pas dit qu'ils ne s'avèrent pas dangereux, à cause des gaz qui pourraient stagner entre les deux parois.

Les États-Unis ont parfaitement su imposer à leurs armateurs une mesure drastique, et pour le moment efficace, pour défendre leur littoral. Ils ont même su imposer à la compagnie Exxon de débourser des milliards de dollars (le naufrage aurait finalement coûté 9,6 milliards de dollars à Exxon). Mais les autorités américaines se sont bien gardées d'interdire les pavillons de complaisance dont les armateurs américains sont les premiers utilisateurs. Aujourd'hui les principales compagnies pétrolières, les Majors, ont la réputation de faire attention aux navires qu'elles utilisent. C'est relatif, bien sûr, l'affréteur de l'Erika ayant été TotalFinaElf. Et surtout le système des pavillons de complaisance permet à une véritable mafia des mers d'envoyer ce qu'elle veut sur l'eau, grâce à tout un système de sociétés écrans qui permettent de bloquer les poursuites judiciaires.

Le cas du Prestige tient même du surréalisme : commandé par un capitaine grec, avec un équipage roumain et philippin, autorisé à naviguer aux Bermudes, certifié en Lettonie par une société de contrôle texane, il naviguait sous pavillon des Bahamas. Il appartenait cependant à une société du Liberia basée en Grèce. Il a été affrété par une société " off-shore " créée aux Iles Vierges, puis transférée en Suisse. Il transportait du fuel vraisemblablement russe, pour une destination supposée être Singapour... Tout est fait pour que la justice mette plus de temps à digérer cet incroyable imbroglio que l'océan pour digérer la marée noire !

Les États pourraient parfaitement interdire ce genre de pratiques. Il suffirait que les quatre ou cinq plus grandes puissances mondiales le décident pour que l'affaire soit réglée. Mais elles ne le font et ne le feront pas, car les pavillons de complaisance, en permettant une exploitation éhontée des marins, des économies d'impôts, etc., rapportent des milliards de dollars ou d'euros de profits.

Les principales autorités mondiales laissent donc les capitalistes libres de polluer impunément par les marées noires et surtout par les rejets constants, beaucoup plus importants et dont on parle moins, des résidus de dégazage.

En fin de compte l'incurie du gouvernement Aznar envers la Galice reflète parfaitement l'incurie des autorités mondiales envers la planète.

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