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Leur société
Sarkozy ferme le centre de Sangatte ; et après ?
Sarkozy et son homologue britannique, David Blunkett, sont aux anges. Ils viennent de décider de fermer, le 30 décembre prochain (avec trois mois d'avance sur leur propre calendrier), le centre de Sangatte, cet entrepôt transformé par la Croix-Rouge en local d'hébergement de réfugiés, qui a, en trois ans d'existence, acquis une triste célébrité dans toute l'Europe, et au-delà.
Depuis son ouverture fin 1999 (pour accueillir 300 familles kosovares chassées de chez elles autant par le régime de Milosevic que par les bombardements occidentaux), ce centre a vu défiler 60 000 personnes, pour la plupart des Kurdes, des Irakiens, des Afghans. Ces réfugiés fuyant les persécutions et les guerres (y compris celles que mène l'Occident dans ces régions) ont afflué à Sangatte dans l'espoir de gagner la Grande-Bretagne où, croyaient-ils, ils pourraient trouver du travail plus facilement qu'ailleurs en Europe. Plus d'une dizaine n'ont trouvé là que la mort en tentant de franchir le passage, de plus en plus hermétiquement gardé, entre la France et la Grande-Bretagne. Des dizaines de milliers d'autres ont constaté ce qu'il en était de la " France (prétendue) terre d'accueil " (la police dit avoir procédé à... 80 000 interpellations de " clandestins " dans le Calaisis pour la seule année 2001 !). Les gouvernements de Jospin puis de Raffarin ne s'intéressaient au sort de ces damnés de la Terre que pour leur publicité, mais jamais au point de leur offrir des perspectives décentes de reconstruire ici leur vie.
Maintenant, l'ex-ministre socialiste et nouveau député de Calais Jack Lang en est à tresser des couronnes de laurier à Sarkozy sur France-Inter. La veille, dans l'avion qui les ramenait ensemble de Londres, il lui aurait même glissé à l'oreille, comme l'aurait entendu l'envoyée du Figaro : " Ah ! Si nous (le gouvernement Jospin) avions fait seulement 10 % de ce que vous avez fait là ! ". Quant au maire PCF de Calais, Jacky Hénin, il lui aurait déclaré : " Bravo, c'est du beau travail de pro ! "... Sur ce terrain, celui de la comparaison avec une ex-majorité de gauche dont la politique en la matière ne s'est en rien distinguée de celle de la droite, Sarkozy a effectivement la partie belle. Au point que, dans Le Monde, il a pu vanter, sans craindre d'être contredit à gauche, " l'humanité de [sa] décision " .
La police de Sarkozy vient pourtant de renvoyer, par la force, une dizaine de réfugiés afghans dans leur pays. Comme si, depuis que les armées occidentales, dont l'armée française, ont chassé les talibans de Kaboul pour réinstaller au pouvoir les seigneurs de la guerre et de la drogue, la situation y était redevenue idyllique ! Le Haut-Commissariat de l'ONU aux réfugiés a bien protesté contre cette infamie, en revanche on n'a pas entendu " l'opposition " de gauche s'en indigner.
Les dirigeants anglais et français ont effectivement de quoi se féliciter de cet accord qui, avec la fermeture de Sangatte, leur retire une épine du pied. Avoir supprimé, d'un commun accord, cet " abcès de fixation ", cela fait certes disparaître un symptôme hideux, mais pas la maladie, non moins hideuse, qui l'a fait surgir.
Personne ne peut croire un instant qu'avec la fermeture de Sangatte le " problème " est réglé, pas même celui, immédiat, des gens qui s'y entassent. La Grande-Bretagne aurait promis d'accueillir environ 1200 d'entre eux qui ont des attaches familiales outre-Manche, en leur procurant un travail, mais en leur refusant le statut de réfugié - " l'humanité " des gouvernants a des limites vite atteintes. La France, a dit Sarkozy, trouvera une " solution " pour 300 à 350 autres. Cela concernerait donc en tout 1500 réfugiés, alors que le centre en accueille 1800 et que, selon la Croix-Rouge, 5000 personnes auraient, depuis novembre, été enregistrées par elle et erreraient dans la région, dans l'attente d'un hypothétique passage en Angleterre. Rien, semble-t-il, n'est prévu pour tous ces gens. Et surtout rien, ou plutôt rien de bon, pour ceux qui vont continuer à affluer.
Combien de milliers de pauvres gens vont arriver, ne serait-ce que d'Irak, poussés par la crainte de la nouvelle guerre que promet Bush, et par les raids que ses bombardiers effectuent de toute façon sur ce pays depuis une dizaine d'années ? Combien, plus nombreux encore, arriveront d'Afghanistan ou d'ailleurs, pour échapper à la guerre, à la misère, à l'oppression ?
À ces questions, Sarkozy et Blunkett n'ont qu'une réponse. Leur accord prévoit de renforcer la coopération franco-britannique contre l'immigration, notamment en créant des organismes mixtes de contrôle trans-Manche. La Grande-Bretagne se serait aussi engagée à fournir de " nouveaux moyens technologiques de détection, des battements cardiaques notamment, destinés à d'autres ports français ". Consacrer toujours plus d'argent, non pas à soulager la misère de la planète, mais à détecter plus facilement ceux qu'elle chasse, voilà " l'humanité " de ce système et de ceux qui le servent.