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Tribune de la minorité
La stratégie des confédérations
Côté gouvernement, la stratégie est claire et explicite: miser sur le "pourrissement" du mouvement, son épuisement progressif, la fatigue des profs, la division entre secteur public et privé, voire la division des profs entre eux.... En vain jusqu'à présent.
Ce que craint le gouvernement est également clair et explicite: la jonction du secteur privé et de ceux du secteur public. Bref, la grève générale. La grande confrontation sociale. Il ne reculera pas sur l'essentiel à moins. Tout le monde en est bien conscient. A commencer par les salariés engagés dans le mouvement, certains depuis des semaines.
Côté confédérations syndicales, du moins celles qui restent en lice, c'est quoi la stratégie?
Après avoir mis tout son poids pour faire reprendre les cheminots qui avaient reconduit la grève au lendemain de la journée du 13 mai, la CGT avait donné comme objectif la manifestation du dimanche 25 mai. Que la base attende, bon gré mal gré. Que les profs attendent aussi. Les profs tinrent bon, et même mieux. La manif du 25 fut sans précédent. Mais qu'ils patientent encore... Le préavis de grève dans les transports, ce ne sera que pour le 3 juin. FO qui avait parlé de préavis le 26 mai, rallie là-dessus la CGT. Et les profs tiennent toujours bon. Le "report" de la centralisation à l'automne, ça ne leur a fait ni chaud ni froid. Dans la manifestation de mardi, les mots d'ordre étaient toujours: retrait du plan Fillon, 37 ans et ½ pour tous.
Et maintenant? En quoi consiste le plan de mobilisation des principales fédérations et confédérations ?
Chez les enseignants, cela fait 15 jours que de crainte d'être débordées, les différentes fédérations ne se contentent plus d'accompagner timidement le mouvement qui a débuté depuis plus de deux mois, mais ont même parfois contribué à l'élargir. Aujourd'hui, le langage du secrétaire de la FSU, Gérard Aschieri, est remarquablement prudent, tant vis-à-vis des grévistes, que du gouvernement! Pour l'heure, tant que le mouvement est ascendant, pas question d'être en porte à faux vis-à-vis des grévistes qui ont réussi à s'organiser eux-mêmes. Cela ne fait pas une stratégie, mais les grévistes, dans leurs assemblées générales et leurs coordinations, en ont pour deux et ont pris eux-mêmes l'initiative de s'adresser aux autres travailleurs, aux postiers et cheminots en grève, mais aussi par tracts à bon nombre de travailleurs du privé.
Côté FO et CGT, ont tient à marquer d'emblée des limites. Dans les manifestations, le slogan de grève générale s'est répandu. Mais Thibault et Blondel ne sont pas pour. Thibault parce que "la grève générale ne se décrète pas", répète-t-il constamment. Mais ne pourrait-elle pas se "préparer"? Après tout, c'est très exactement de ce que font, très consciemment, les grévistes de l'Education Nationale. Blondel, lui, n'est pas pour, parce qu'elle serait "de nature politique"! A la direction des confédés, pas de grève générale en vue. Mais on pratique la langue du flou, on annonce une "mobilisation générale". La CGT, FO, UNSA et la FSU annonçaient même le 28 mai qu'elles "sont prêtes à donner à cette journée du 3 juin tous les prolongements indispensables". Qu'est-ce à dire ?
"Continuer le mouvement par d'autres moyens", comme on disait autrefois? "Nous n'avons pas d'autre choix que de faire appel à la mobilisation pour obtenir d'autres négociations" déclare Bernard Thibault à Libération du 3 juin. Négocier quoi? Eh bien... la réforme des retraites. Car Thibault est pour une réforme.Les manifestants récusent toute réforme des retraites et réclament qu'on finance les retraites sur les profits. Pas Thibault, pas plus que Blondel et les autres dirigeants confédéraux.
Voici comment Thibault explique le 3 juin ses objectifs et sa tactique au même journaliste de Libération: "Le débat parlementaire s'ouvre le 10 juin. La seule chose qui peut modifier la donne, c'est le degré de mobilisation et sa persévérance. Des secteurs vont voir les arrêts de travail durer plusieurs jours, dans d'autres, il y a aura alternance entre arrêts de travail et manifestations. Je souhaite qu'il y ait une multitude d'initiatives qui rassemblent le maximum de salariés. C'est le seul moyen de convaincre le gouvernement qu'il ne peut pas décemment faire légiférer l'Assemblée dans un tel climat de contestation (...) Ce n'est pas le blocage de l'activité économique qui est le but du mouvement, c'est de contraindre le gouvernement à revenir à la table des discussions (...) Le besoin de réforme est une évidence (...) Ce n'est pas l'immobilisme face à la réforme. La question, c'est le contenu de la réforme. Elle doit être réfléchie avec les interlocuteurs syndicaux. Le Premier ministre s'est fixé un calendrier qui relève plus de la communication politique que de la nécessité économique. Il n'y a pas d'impasse financière avant quelques années, cela laisse le temps d'une négociation réelle et sérieuse".
Objectif de la CGT: obtenir du gouvernement le temps d'une négociation réelle et sérieuse sur une réforme dont le besoin serait évident et dont le contenu doit être réfléchi. Moyens d'action: une multitude d'initiatives; alternance entre arrêts de travail et manifestations; de la persévérance dans la mobilisation d'ensemble (il en faut dans ces conditions!); bref, pas une véritable épreuve de force mettant le gouvernement dos au mur, mais un simple climat de contestation, une guérilla syndicale permettant de renouer le dialogue social, jusqu'à ce que le mouvement lui-même fasse long feu.
C'est sans doute cette merveilleuse tactique qui a incité la CGT à appeler les cheminots à décider l'éventuelle reconduction de la grève le 4 juin.. au niveau le plus local possible, de façon la plus émiettée, histoire sans doute qu'ils s'en remettent à leurs seuls dirigeants fédéraux et confédéraux et ne puissent prendre conscience de leur véritable force.
Voilà pour les calculs des directions syndicales.
Jusqu'à présent, tout ne s'est pas passé selon leurs calculs, bien au contraire. Cela fait des semaines que le mouvement, à la barbe des confédérations, a su rebondir et s'approfondir. Dans certaines régions de province, dans le midi et en Normandie par exemple, les travailleurs du privé ont commencé à rallier le mouvement. Partout, les slogans et revendications des manifestants n'avaient rien à voir avec les déclarations mi-chèvre mi chou des Thibault, Ashieri ou Blondel. Jusqu'ici, les grévistes de l'Education Nationale ont été le fer de lance. Mais d'autres travailleurs, non seulement dans les transports, la poste, aux impôts... mais aussi dans la métallurgie, l'agroalimentaire ou ailleurs, peuvent, en dépit de tous les calculs et hésitations des bureaucraties syndicales, être également les fers de lance de la véritable généralisation des grèves. Dans ce cas, les Thibault et Blondel n'auront sans doute pas eu l'occasion de décréter la grève générale, mais seront sans doute contraints de la suivre.
Huguette CHEVIREAU
Convergences Révolutionnaires n° 27 (mai-juin 2003), bimestriel édité par la Fraction
Un dossier sur l'industrie de guerre et le trafic d'armes à l'heure de la mondialisation.
Éditorial: "Pour que la rue gouverne"
Des articles : Sur les grèves de l'Éducation nationale, le 32e congrès du PCF, les Sans-papiers ou la drôle de "victoire de la démocratie contre Le Pen", l'individualisation des salaires et leur régression, la situation du capitalisme américain, l'enjeu du pétrole en Algérie, la rage des sidérurgistes en Belgique.
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