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Leur société
La lettre de Raffarin : Le bonimenteur nous écrit
En ces temps de restrictions budgétaires pour les services publics, le Premier ministre nous écrit une lettre, "que nous lirons peut-être si nous avons le temps", comme disait Boris Vian. Il en coûtera trois millions d'euros d'affranchissement. Ces trois millions font partie d'un budget de communication estimé de 15 à 20 millions d'euros et destiné à faire avaler aux salariés la pilule amère de la réforme des retraites.
La lettre de Jean-Pierre Raffarin elle-même ne dit pas grand-chose, mais est accompagnée d'un dépliant qui se veut plus explicite. Raffarin prétend, comme à son habitude, "dire la vérité sur votre retraite". Attention, les mensonges commencent...
"J'ai dû engager un projet de réforme nationale car nous allions tout droit vers l'effondrement de votre retraite", affirme-t-il, et plus loin: "L'avenir de votre retraite n'était pas financé à ce jour". Mensonge par omission: le Premier ministre choisit un ton alarmiste en oubliant de dire que, pour le moment, les caisses des retraites sont pleines.
Raffarin reprend ensuite sa chanson habituelle, et cet argument qui a l'apparence de la simplicité, selon lequel, "après 2006, les actifs qui cotisent seront de moins en moins nombreux, alors que les retraités qui perçoivent les pensions seront, eux, de plus en plus nombreux", en oubliant de nous dire que l'augmentation de la productivité du travail pourrait répondre facilement à ce faux problème. Et il ajoute: "Mon gouvernement a négocié avec les partenaires sociaux, tous ces derniers mois". Faut-il rappeler que la fameuse "négociation" sur la réforme des retraites avec "les partenaires sociaux" a duré au plus 24 heures, entre le 14 et le 15 mai? La réforme du gouvernement était "à prendre ou à laisser". Les "partenaires sociaux" avaient en gros le choix d'acquiescer.
Le gouvernement se vante aujourd'hui que sa réforme a été approuvée par cinq organisations professionnelles. Il s'agit des trois syndicats patronaux et de deux syndicats qui prétendent défendre des salariés, la CFDT et la CGC. Raffarin dit dans sa lettre qu'ils ont "amélioré" sa réforme. On veut bien croire en effet que le poids du patronat sur le gouvernement et sa hargne à réduire la part des salariés et des retraités, présents et futurs, dans la richesse nationale n'est pas pour rien dans les choix du gouvernement.
Quant aux broutilles que la CFDT met en avant pour justifier son ralliement à ce gouvernement (par exemple, en 2008 les smicards toucheront 85% du smic au lieu de 75%, ce qui reste indécent), un ralliement dans la continuité de l'appui qu'elle avait donné en 1995 à la tentative de Juppé de remettre en cause les régimes spéciaux, elles servent surtout à Chérèque pour sauver la face.
On apprend ensuite que "c'est une réforme sage car elle est progressive. Elle sera mise en oeuvre sur de nombreuses années d'ici 2020", et aussi que "c'est une réforme juste car la durée de cotisation permettra l'harmonisation entre tous les Français". Mais pourquoi avoir choisi d'harmoniser vers le bas, c'est-à-dire d'aligner les 37,5 annuités du public sur les 40 annuités du privé et ensuite de faire que pour tous la durée de cotisation s'allonge, s'allonge?
Et puis, "c'est une réforme sociale car les petites retraites seront augmentées". Mais Raffarin se garde bien de chiffrer de combien. On comprend pourquoi quand on sait, par exemple, que les smicards devront attendre 2008 pour toucher 85% du Smic en guise de pension, sans parler des trois millions de personnes qui ne vivent qu'avec le minimum vieillesse.
En guise de bouquet final, Raffarin conclut sur "la conviction d'avoir protégé votre avenir sans reporter le problème sur vos enfants". Un sacré culot, car le projet Raffarin revient à accepter pour les jeunes d'aujourd'hui, qui ont déjà du mal à trouver un emploi, qu'ils subissent à l'âge de la retraite une situation encore plus dégradée: comment espérer réunir 42 annuités si on ne parvient à entrer dans la vie active qu'à 25 ou 30 ans? La phrase de Raffarin qui évoque "le bonheur auquel chacun a droit au terme de sa vie professionnelle" a des accents pour le moins cyniques.
Voilà une lettre qui ne mérite qu'un seul sort, celui que les enseignants ont réservé au pseudo-livre de Luc Ferry: la poster sans l'ouvrir avec la mention "retour à l'envoyeur".