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Dans les entreprises
Sidérurgie : La résistible ascension des maîtres de forges
Le trust français Arcelor, numéro un mondial de l'industrie sidérurgique, vient d' officialiser son nouveau plan de suppressions d'emplois: 2700 suppressions d'ici à 2010, dont 1600 qui devraient être réalisées rapidement, rien que pour la France. Des milliers d'autres devraient toucher les autres usines du groupe implantées dans toute l'Europe. Ce groupe est riche à milliards, et c'est simplement pour améliorer ses profits qu'il va détruire directement et indirectement des milliers d'emplois, et ainsi précipiter un peu plus dans le dénuement des régions déjà sinistrées comme le Nord-Pas-de-Calais, la Lorraine et la Picardie.
Cela fait 30 ans que cela dure. Mais cela fait aussi 30 ans que "la crise de l'acier" a précipité les salariés dans le désarroi et la misère et a vu dans le même temps tous les patrons successifs, crise ou pas crise, s'en sortir très bien, avec l'appui sans faille de tous les gouvernements. Cette concordance d'intérêts entre les "maîtres de forges" et l'État est une constante de tous les gouvernements. Elle s'est d'ailleurs illustrée en juin 2002 par la nomination comme ministre de l'Économie et de l'Industrie d'un ancien patron d'Arcelor, Francis Mer.
Des victimes... et ceux qui en ont profité
Depuis le début des années 1970 l'État a distribué sans compter aides et soutiens financiers aux patrons de cette industrie dont la famille phare était celle de De Wendel d'où est issu Seillière et dans une moindre mesure la famille Schneider dont la fortune fut faite au Creusot. En 1978 l'État a repris 22 milliards de dettes des groupes Usinor et Sacilor pendant que 22000 salariés étaient licenciés. Il faudra l'explosion de colère des sidérurgistes pour que l'État mette sur pied et finance des mesures "d'accompagnement" destinées à faire retomber la tension qui était à son comble. Des villes entrèrent en rébellion, en particulier Longwy en Lorraine et Denain dans le Nord, où des commissariats furent pris d'assaut. Finalement les mesures de préretraite à 50 ans, les congés de conversion de deux ans, des aides financières et des promesses de reconversions industrielles furent octroyés.
Pour faire rentrer les ouvriers dans le rang, les syndicats et les partis de gauche promirent le changement, si bien sûr la gauche arrivait au pouvoir. Après 1981, le PS allié au PCF nationalisa la sidérurgie. Pour la famille De Wendel ce fut le miracle de la gauche qui transforma la faillite virtuelle en eldorado financier. Elle reçut des milliards de francs et put tranquillement prospérer jusqu'à aujourd'hui via ses deux sociétés, la CGIP et une holding, Marine-Wendel.
Mais pour les travailleurs "nationalisés" rien ne changea. Il y eut un premier plan Acier avec 12000 suppressions d'emplois dès 1982 auxquelles se sont ajoutées 21000 autres en 1984. A noter que ces décisions n'entraînèrent pas le départ des ministres communistes du gouvernement Mauroy.
En 1986, Chirac revenu au gouvernement nommait Francis Mer PDG. Après quoi 20000 suppressions d'emplois supplémentaires furent encore annoncées.
Le retour de la gauche au gouvernement en 1988 ne changea rien à cette politique continue de suppressions d'emplois. Francis Mer fut d'ailleurs confirmé à sa place. Parmi les fermetures les plus marquantes il y eut celle de la SMN -Société Métallurgique de Normandie- à Caen, avec plusieurs milliers de licenciements, qui toucha gravement la Basse-Normandie, après le Nord et la Lorraine.
En 1995 le groupe fut partiellement privatisé après que l'État eut pris à sa charge toutes les obligations financières et l'eut rendu ainsi plus attractif pour les actionnaires privés.
En 1997 le gouvernement Jospin achevait la privatisation. La sidérurgie, qui comptait 140000 salariés en 1976, n'en comptait plus alors que 44600.
Ce n'est pas une affaire de fatalité !
Les travailleurs ont payé au prix fort les illusions et les mensonges véhiculés par les partis de gauche et certains dirigeants syndicaux. Le fait de croire que l'emploi des travailleurs puisse être protégé par la bonne santé des entreprises s'est révélé être une tragique duperie. Crise ou pas, les licenciements ont continué. Non pas qu'il y ait eu moins de besoins en produits sidérurgiques. Mais lorsqu'il s'agit de générer du profit à tout prix, l'emploi ne pèse pas lourd. et c'est bien souvent au détriment de celui-ci que se réalise au moins une partie des profits. Patronat, gouvernements, partis de gauche comme de droite, dirigeants syndicaux, ont tout fait pour détourner les travailleurs du terrain de la lutte sociale radicale et de la généralisation nécessaire, au niveau de toute la classe ouvrière, du combat contre les licenciements. C'est pourtant sur ce terrain que les travailleurs de la sidérurgie ont pu peser un temps, un temps seulement car leur lutte s'est vite enlisée et a été volontairement éparpillée.
Alors, s'il y a une leçon à tirer, utile pour l'avenir, c'est bien celle de la faillite de la politique prétendument "réaliste" qu'ont défendue tous ces faux amis des travailleurs, en leur demandant d'accepter des sacrifices pour sauvegarder l'avenir. Cette politique ne peut qu'amener la résignation dans le camp des travailleurs et les laisser ainsi démunis, sans moyens de s'opposer véritablement à l'avalanche sans fin des licenciements.