Il y a 10 ans, le génocide au Rwanda : Le pouvoir français, complice des tueurs08/04/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/04/une1862.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Il y a 10 ans, le génocide au Rwanda : Le pouvoir français, complice des tueurs

Le 6 avril 1994, l'avion qui transportait le président rwandais Juvénal Habyarimana, d'origine hutue, et son homologue burundais était détruit par deux missiles au-dessus de Kigali, la capitale du Rwanda. Cet attentat donna le signal du génocide qui devait aboutir à l'extermination de huit cent mille à un million de Tutsis. Il fut entièrement planifié et mis en oeuvre par le régime d'Habyarimana, une dictature sanglante qui avait reçu le soutien politique, militaire et financier de la France pendant des années.

Avant même que la nouvelle de l'assassinat du président Habyarimana ne soit annoncée à la radio, les rues de Kigali se couvrirent de barrages. L'armée gouvernementale rwandaise, la garde présidentielle, les membres des milices surtout, les tristement célèbres Interahamwe, "les escadrons de la mort" ou "réseaux zéro" (pour zéro Tutsis), étaient déjà à pied d' oeuvre pour commettre leurs crimes. Commencèrent alors les massacres d'opposants hutus modérés qualifiés de "traîtres", puis simplement de "Tutsis". Dès le 7 avril, le Premier ministre hutu Agathe Uwilingiyimana, sa garde personnelle et dix casques bleus belges qui assuraient sa protection furent assassinés. L'armée française mit sur pied l'Opération Amaryllis, intervenant dès le 9 avril soi-disant pour sauver les ressortissants français. Mais la veuve du président, co-organisatrice du génocide, fut la première à être évacuée en compagnie d'autres idéologues du régime, sur ordre exprès de l'Élysée.

En avril 1994, le massacre s'étend à l'ensemble du pays...

Parallèlement, un Gouvernement Intérimaire Rwandais (GIR) se constituait à l'ambassade de France sous la direction de l'ambassadeur Marlaud et du colonel Bagosora, l'un des organisateurs du génocide. Ce gouvernement mit à exécution l'extermination des Tutsis. Lors d'une visite à Butare, le nouveau président du GIR appela les milices hutues à "se mettre au travail", ce qui signifiait exterminer les Tutsis. La Radio Télévision Libre des Mille Collines (RTLM) multipliait les appels au meurtre. Les tueries devinrent alors systématiques. Encadrées par les préfets, les bourgmestres, les chefs de milices, une partie de la population hutue poussée par la propagande haineuse du pouvoir, qui comparait les Tutsis à des "cancrelats" à éliminer, apporta son appui aux massacres quotidiens, arrivant à près de dix mille exécutions par jour en avril.

Pas une région, pas une ville, pas un village, pas une maison n'échappa aux tueurs qui, listes en main, rassemblaient les populations tutsies dans les églises, dans les écoles et les bâtiments publics avant de les massacrer à coups de gourdin et de machette. Le génocide se poursuivit tout au long des mois d'avril, mai et juin, dans l'indifférence la plus générale. L'ONU refusa d'intervenir, réduisant même son contingent sur place sous la pression du gouvernement français qui, lui, apportait un soutien sans faille au régime du défunt Habyarimana, tandis que la Belgique, ancienne puissance coloniale, et les États-Unis assistaient au massacre en spectateurs.

En juillet 1994, la déroute des Forces armées rwandaises (FAR) et la victoire des armées rebelles du Front patriotique rwandais (FPR) mit fin au génocide. Formé par la seconde génération des exilés tutsis qui avaient fui le Rwanda après les massacres de "la Toussaint rwandaise" en 1959, le FPR était dirigé par Paul Kagamé, un homme qui avait suivi une instruction militaire aux États-Unis. Il reçut tout naturellement le soutien de l'impérialisme américain, qui voyait là un moyen de renforcer sa présence dans la région (proche des richesses minières du Congo voisin) et contrer ainsi l'influence française. L'opposition armée tutsie au régime d'Habyarimana, qui s'était lancée à la reconquête du Rwanda au début des années 1990 en partant de l'Ouganda voisin, était donc parvenue à ses fins en à peine plus de quatre ans, mais sur un champ de cadavres.

La "machine à tuer" était déjà en place

Pas un seul homme politique français, belge ou américain, pas un seul haut fonctionnaire de l'ONU n'ignorait ce qui se tramait au Rwanda au grand jour depuis des années. Un haut fonctionnaire français présent au Rwanda estimait ainsi que, "si le président Habyarimana n'avait pas été tué, il y aurait quand même eu de gigantesques massacres" car "tout était prêt pour que le pouvoir reste aux extrémistes dont on a évacué les responsables par le premier avion". En réalité, le "moteur" de la machine à tuer "tournait" déjà depuis plusieurs années, il fallait seulement donner "un coup d'accélérateur": l'attentat en fut le prétexte.

Dès 1990, la France envoyait des soldats pour sauver la dictature et stopper l'avance des troupes du FPR. Elle s'installait militairement au Rwanda, conseillant, entraînant la garde présidentielle, l'armée rwandaise mais aussi les milices extrémistes hutues. L'armée française se comporta comme une armée d'occupation. Ses officiers assistaient aux interrogatoires des rebelles du FPR capturés. Ses soldats quadrillaient les routes et procédaient à des contrôles d'identité "ethniques" en compagnie des soldats rwandais. Paris devint le principal bailleur de fonds de la dictature. Et celle-ci avait déjà à son actif plusieurs pogroms anti-Tutsis, des dizaines de milliers de cadavres sur la conscience, au point que des organisations humanitaires s'en alarmèrent en 1993, parlant de prémices d'un génocide. Mais la France n'en assurait pas moins de son soutien indéfectible le régime raciste d'Habyarimana qui planifiait ouvertement l'extermination des Tutsis. En coulisse, le Crédit Lyonnais "couvrait" les millions de dollars de livraisons d'armes au Rwanda.

L'armée française au secours du régime Habyarimana

Une fois le génocide commencé, la France mit encore tout son poids dans la balance. Il fallait soutenir à n'importe quel prix un "régime ami", fût-il responsable d'un génocide, contrer coûte que coûte l'avance de troupes rebelles et éviter que le Rwanda ne bascule dans la sphère d'influence anglo-saxonne. Le gouvernement français "honora" ses contrats, livra des armes aux tueurs et reçut à l'Élysée en plein génocide plusieurs de ses dirigeants. Lorsque la victoire du FPR fut évidente, la France qui jusque-là s'était opposée à ce que l'on qualifiât de "génocide" la tragédie rwandaise et s'était opposée à toute intervention, fit volte-face. Elle prétexta l'exode de centaines de milliers de Hutus qui fuyaient devant l'avance des armées rebelles du FPR pour intervenir au Rwanda.

Avec la caution de l'ONU, la France mit sur pied l'Opération Turquoise qui, loin d'être "humanitaire", comme le proclamaient le gouvernement et la presse, fut une véritable intervention militaire avec comme seul but de sauver les débris de l'appareil d'État hutu et des forces armées rwandaises en déroute. Pour justifier son intervention, le gouvernement français parla alors de "génocides" au pluriel, voulant dire qu'après le génocide commis par les Hutus contre les Tutsis, le FPR en commettait un contre les Hutus à son tour. Cette théorie, inventée par Mitterrand et l'état-major militaire français, permettait de minimiser l'implication de la France aux côtés de la dictature d'Habyarimana. Miliciens et militaires rwandais responsables du génocide ne s'y trompèrent pas: ils accueillirent en libérateurs les soldats français, leurs alliés de toujours, aux cris de "Vive la France!", "Merci, François Mitterrand!".

En créant une "Zone humanitaire sûre" au sud-ouest du Rwanda, l'armée française offrit un sanctuaire aux responsables militaires et politiques du génocide, qui avaient utilisé dans leur retraite les centaines de milliers de réfugiés hutus comme des boucliers humains. L'Opération Turquoise créa ainsi un couloir d'évacuation vers le Zaïre où le Gouvernement intérimaire se réorganisa. Dans toute cette zone soi-disant "sûre", les massacres contre les Tutsis survivants continuèrent: cette fois, ils se firent sous l'oeil bienveillant et avec la complicité, parfois active, des militaires français. Les milices hutues pouvaient massacrer et la Radio des Mille Collines émettre en toute impunité: l'état-major français n'y trouvait rien à redire. Des témoins survivants rapportent que les camions des tueurs sillonnaient les collines de la région, utilisant les drapeaux français pour faire sortir de leurs cachettes les Tutsis survivants afin de mieux les exterminer.

À aucun moment l'armée française n'arrêta les préfets, les bourgmestres et les chefs de milices et les idéologues du génocide qui circulaient librement dans la "Zone humanitaire" ou dans les camps de réfugiés au Zaïre, à Goma. Au contraire, elle réarma les milices Interahamwe et réorganisa les débris des Forces armées rwandaises pour qu'elles puissent revenir au Rwanda, tout en laissant mourir du choléra les populations hutues réfugiées.

Les responsables du génocide sont à Paris

Le nouveau pouvoir installé à Kigali depuis 1994 n'a rien de démocratique. Depuis la fin du génocide, une dictature en a remplacé une autre. Les bandes armées de Kagamé ont commis elles aussi bien des exactions et des massacres contre les populations hutues. Elles ont occupé et pillé le Congo voisin pendant plusieurs années, s'appuyant sur des seigneurs de guerre locaux, contribuant ainsi à déstabiliser la région et à alimenter une guerre régionale qui a fait des centaines de milliers de victimes. Cela est incontestable. Mais à l'heure où Kigali commémore le dixième anniversaire du génocide, la France n'a toujours pas reconnu ses responsabilités.

Les peuples tutsis et hutus ont été broyés par les bandes armées d'Habyarimana et de Kagamé, et pris en tenaille entre les rivalités des impérialismes français et anglo-saxon. Mais ils ont surtout hérité d'une situation explosive léguée par des décennies de colonisation où la Belgique d'abord, la France ensuite, ont nourri les haines ethniques, faisant de cette région des Grands Lacs une véritable poudrière où se sont succédé les pires dictatures. Celles-ci ont exploité ces haines pour se maintenir au pouvoir, orchestrant au besoin des massacres, creusant ainsi un fossé de sang entre les peuples.

De ce point de vue, les plus grands responsables de ce terrible massacre ne se trouvent pas à Kigali mais bien à Paris, où les hommes politiques de droite comme de gauche, de Balladur à Juppé, sans oublier Mitterrand, en fidèles serviteurs de l'impérialisme, ont donné leur aval à l'armée française pour qu'elle entraîne et arme le bras des tueurs.

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