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Hôpital de Besançon : Les panseuses ont-elles le droit de penser ?
La presse s'est largement fait l'écho, ces dernières semaines, de l'ouverture d'une information judiciaire concernant des actes «d'euthanasie active» qui auraient été pratiqués dans le service de réanimation chirurgicale de l'hôpital de Besançon. C'est une affaire qui remonte déjà à plusieurs années.
Entre 1998 et 2002, le personnel soignant (infirmières, aides-soignantes et ASH) du service de réanimation chirurgicale de l'hôpital de Besançon avait attiré l'attention de l'ensemble de sa hiérarchie à propos de pratiques «d'accélération de fin de vie» utilisées dans le service par l'équipe médicale et qu'il estimait profondément choquantes. Il avait alors été impossible d'en discuter à l'intérieur du service. L'encadrement, tout comme le directeur général du CHU, le DRH ou le président de la CME (commission médicale consultative) étaient restés sourds. Tous voulaient réduire le malaise du personnel à une simple querelle entre les équipes soignante et médicale. Cela évitait de se poser des questions pour savoir ce qui se passait réellement dans le secteur. Et puis, comment imaginer que le personnel puisse remettre en cause la toute puissance des médecins? L'un d'eux eut même le front de dire à une infirmière qu'elle était là pour panser, avec un A et non avec un E...
Quoi qu'il en soit, un certain nombre de refus d'exécuter des actes jugés par les infirmières contraires à l'éthique professionnelle amena des demandes de sanction de la part de la chef de service vite enterrées par la direction de l'hôpital qui apparaissait surtout soucieuse de ne pas faire de vagues.
Fin 2001, une importante délégation de personnel du service, accompagnée de deux délégués syndicaux, avait enfin été reçue par le directeur de la DRASS (direction régionale des affaires sanitaires et sociales). Ce dernier a d'abord informé les membres de la délégation travaillant en «réa-chir» que le fait d'avoir informé leur hiérarchie à propos de ces pratiques ne les mettait pas à l'abri de poursuites pour «non-assistance à personne en danger» si les faits étaient avérés. Le 11 décembre 2001, une mission d'inspection fut confiée à trois médecins inspecteurs de la DRASS. Ces derniers ont interrogé plus de 50 personnes qui ont raconté ces «fins de vie» qui les choquaient tant et le harcèlement qu'elles subissaient au quotidien. Les résultats de cette enquête ont été évoqués dans Le Monde du 8 mars 2002. D'après ce journal, les médecins inspecteurs estimaient que «les actes incriminés se déroulent dans le cadre de limitation ou d'arrêt thérapeutique» mais «qu'ils dépassent ce cadre» . Le personnel, lui, n'eut pas droit à la communication de ce document (qui le concernait pourtant au premier chef), alors que les médecins du service, eux, y eurent accès au nom du droit de réponse. L'ensemble des instances concernées (Agence régionale de l'hospitalisation, DRASS, direction du CHU) s'opposèrent et s'opposent toujours à fournir copie de ce document au personnel.
L'IGAS (inspection générale des affaires sanitaires) mena également une investigation dont les conclusions furent seulement présentées aux délégués syndicaux. Le personnel, lui, n'a jamais été informé officiellement de l'état des différentes enquêtes. Ce qu'il apprit, il l'apprit par la presse, par des indiscrétions, ou par des «on dit».
Il y a quelques semaines, le rapport de l'expert judiciaire a été commenté dans la presse nationale. D'après l'Express du 10 mai 2004, sur dix-huit dossiers de patients examinés par l'expert, quatorze ont subi, aux yeux de la loi, une euthanasie. Dont quatre, une euthanasie «directe» par injection de curare et de sel de potassium, autrement dit un empoisonnement du point de vue légal. Le procureur a tenu une conférence de presse pour annoncer qu'au bout de deux ans d'enquête préliminaire, cette dernière allait se poursuivre. Le SRPJ de Dijon va interroger le personnel ayant travaillé entre 1998 et 2002 dans ce secteur, les médecins du service et l'ensemble de la hiérarchie administrative hospitalière. Jusqu'à présent les seuls médecins interrogés ont été ceux de la DRASS qui ont mené la première enquête...
Quelles que soient les conclusions de l'enquête judiciaire, le curieux déroulement de celle-ci met en lumière le fait que l'opinion et la parole des salariés ne pèsent pas bien lourd dans notre société. Car enfin, les questions que posait le personnel soignant avaient-elles si peu d'importance qu'il ait fallu attendre plus de deux ans pour se décider enfin à les écouter? Et pourquoi, alors que les journalistes avaient accès aux différents rapports concernant ce qui s'est passé en réanimation chirurgicale, le personnel n'y a-t-il jamais eu accès et a-t-il toujours été considéré comme quantité négligeable malgré son obstination et sa détermination à exiger des réponses à ses interrogations?
Mais il en est ainsi dans toute la société. Tout salarié cesse d'être considéré comme un citoyen à part entière dès qu'il est au travail, il n'a qu'à exécuter les ordres qu'il reçoit... ce qui n'empêche pas certains d'essayer de lui faire endosser la responsabilité de ce qu'il n'a pas pu empêcher.