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- Lutte ouvrière n°1912
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Il y a 90 ans, en Allemagne, en pleine guerre mondiale, naissait la Ligue Spartakus
Le 19 février 1915, en pleine Première Guerre mondiale, Rosa Luxembourg était incarcérée, après avoir été condamnée pour propagande antimilitariste. Elle allait, hormis un bref intermède, rester en prison pendant toute la durée de la guerre. L'épisode était révélateur de la situation dans laquelle se trouvaient les militants internationalistes alors que, le 2 août 1914, les députés sociaux-démocrates allemands avaient voté les crédits de guerre au Reichstag, apportant ainsi leur appui à la politique de l'impérialisme allemand.
Un désarroi profond s'empara alors du mouvement ouvrier car cela représentait une trahison de toute la propagande contre la guerre qu'avait menée le Parti Social-démocrate (SPD) pendant des années. Fin juillet 1914, des dizaines de milliers de travailleurs avaient encore défilé dans tout le pays, à son appel, aux cris de «À bas la guerre! Vive la fraternité internationale des peuples!».
À partir de ce moment, le SPD s'opposa aux grèves, ne protesta pas contre la suspension des droits de réunion et de manifestation et interdit à ses membres l'expression de toute opposition à la guerre. Seule une petite minorité du Parti, regroupée autour de Rosa Luxembourg et de Karl Liebknecht, fils d'un des fondateurs du parti, s'opposèrent à la guerre. Parmi les autres fondateurs de ce groupe, on comptait Eugen Léviné, un ancien combattant de la révolution russe de 1905, et Leo Jogiches, venu de Pologne comme Rosa, qui en fut véritablement l'organisateur.
Le combat de la minorité révolutionnaire
Ce n'était pas un hasard. Ils faisaient partie de ceux qui, depuis des années, avaient mené la bataille contre l'évolution réformiste de la social-démocratie, c'est-à-dire contre l'idée qu'on pouvait faire évoluer le capitalisme «pacifiquement». Mais ils avaient mis du temps à se convaincre que le SPD était un parti qui était passé, définitivement, dans le camp de l'ordre bourgeois. Le 2 août 1914, la minorité qui était hostile à la guerre avait ainsi voté les crédits militaires par respect pour la discipline du parti. Ce n'est que le 2 décembre 1914, lors d'un autre vote, que Karl Liebknecht, tout seul, se prononça contre. Les militants rassemblés dans ce qui allait devenir la Ligue Spartakus tentèrent, à contre-courant, d'organiser le combat contre la guerre impérialiste, essayant de s'adresser d'abord au milieu social-démocrate, puis peu à peu, à l'ensemble de la classe ouvrière. Ils éditèrent une toute petite feuille défendant les idéaux internationalistes, qui circula sous le manteau (L'Internationale d'abord puis les Lettres de Spartakus, en référence au plus connu des esclaves révoltés dans la Rome antique) et firent parvenir des tracts sur le front. Leur combat allait passer par la courageuse manifestation de Karl Liebknecht, le 1er mai 1916: seul, revêtu de son uniforme (car il était mobilisé), il distribua des tracts contre la guerre en plein Berlin. Il fut condamné à quatre ans de bagne pour haute trahison. Cela lui conféra un prestige qui dépassait largement l'influence de leur petit groupe. Malgré les difficultés, celui-ci gardait espoir en un réveil du prolétariat et jugeait indispensable de préserver un drapeau sans tache.
La révolution
Cette espérance n'allait pas demeurer vaine. En février 1917, après deux ans et demi de guerre atroce, la révolution débutait soudainement à Saint-Pétersbourg, en Russie, et balayait, en quelques jours, le régime tsariste. En Allemagne, il fallut attendre une année de plus avant que la situation devienne plus favorable aux révolutionnaires. Des grèves éclatèrent dès janvier 1918, au cours desquelles les travailleurs revendiquaient «la conclusion rapide d'une paix sans annexion ni indemnité». Le 4 novembre 1918, la révolution éclatait à Kiel, un port de guerre sur la Baltique: les marins refusèrent l'offensive, perdue d'avance, que voulait leur imposer l'état-major. En quelques jours, le pays se couvrit de conseils d'ouvriers et de soldats. L'empereur abdiqua et la République fut proclamée. Les militants emprisonnés furent libérés. Dès lors une course de vitesse s'engagea entre la bourgeoisie, appuyée par le SPD, qui voulait rétablir son ordre, et les spartakistes qui souhaitaient que la mobilisation des masses permette de renverser le capitalisme. Les militants regroupés dans la Ligue Spartakus jetèrent toutes leurs forces dans la bataille et tentèrent de doter la classe ouvrière d'un véritable instrument de combat: le Parti Communiste d'Allemagne naquit en décembre 1918 de la fusion de la Ligue Spartakus et de plusieurs autres groupes.
Mais le jeune Parti, s'il grossit rapidement, se trouva aussi vite décimé et privé de ses principaux dirigeants. Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg furent assassinés en janvier 1919 par la soldatesque aux ordres du ministre social-démocrate Noske. Franz Mehring, malade, mourut deux semaines plus tard. Leo Jogiches était fusillé en mars 1919. Quant à Eugen Léviné, devenu président du Comité Exécutif de l'éphémère République des Conseils de Bavière en avril 1919, il était exécuté en juin 1919.
Le Parti décapité
Dans les années de tourmente qui allaient suivre, malgré le courage, le dévouement et l'abnégation de dizaines de milliers de militants, le Parti Communiste n'allait jamais retrouver une direction à la hauteur des événements auxquels il fut confronté. Des équipes dirigeantes d'orientations différentes se succédèrent pendant plusieurs années, avant que les staliniens n'en prennent le contrôle. Ceux-ci imposèrent dès lors une ligne faite de zigzags entre opportunisme ouvert et poussées gauchistes. Lorsque l'Allemagne s'enfonça à nouveau dans la crise, à partir de l'effondrement économique de 1929, cette politique s'avéra particulièrement néfaste. Conjuguée aux trahisons de la social-démocratie, elle allait laisser le prolétariat sans perspective et conduire à la catastrophe de 1933: la défaite sans combat, devant les hordes hitlériennes, du mouvement ouvrier le plus puissant d'Europe, trahi par le stalinisme et par la social-démocratie.