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Dans le monde
Charm el-Cheikh : Un carnage qui sert surtout le pouvoir
La série d'attentats qui a, le 23 juillet, ensanglanté Charm el-Cheikh, station balnéaire d'Égypte, faisant des dizaines de morts, ne peut que soulever la réprobation la plus totale et l'indignation. Cela se veut une démonstration que les terroristes peuvent frapper où et quand ils veulent pour tuer des dizaines d'innocents. Charm el-Cheikh, une capitale du tourisme international, n'est-elle pas l'un des sites les mieux protégés d'Égypte ? Non seulement elle a accueilli nombre de conférences internationales dans des hôtels sous haute surveillance mais elle abrite aussi la résidence secondaire du chef de l'État, Hosni Moubarak. Toutes les mesures de protection se sont révélées inopérantes contre des kamikazes prêts à mourir pour commettre de tels attentats.
Pourtant ce n'est pas la première fois que l'Égypte est la cible d'islamistes radicaux. Elle a connu une série d'attentats meurtriers, toujours contre des touristes dans les années 1990. Ils ont culminé en 1997 dans un attentat contre un car de touristes devant le musée du Caire, qui fit 10 morts, puis dans le massacre perpétré à Louxor, qui fit 62 morts dont 58 touristes.
Le pays a été à nouveau frappé de façon spectaculaire en octobre dernier. Des attentats à la voiture piégée contre l'hôtel Hilton de Taba et contre deux camps de vacances avaient tué 34 personnes. La répression très dure qui s'en est suivie (des milliers de personnes arrêtées dont beaucoup torturées) n'a pas protégé le pays contre de nouveaux attentats.
Cette fois-ci encore c'est, comme dans les attentats précédents en Égypte, le tourisme qui a été visé, l'une des activités économiques majeures du pays. Bien que nombre de grands hôtels appartiennent à des capitaux étrangers, c'est le régime lui-même qui est atteint dans l'une de ses ressources essentielles. Chaque vague d'attentats a détourné, au moins provisoirement, une partie des touristes de cette destination et aujourd'hui à nouveau nombreux sont les touristes qui ont quitté Charm el-Cheikh ou qui ont annulé leurs réservations.
Contrairement aux attentats de Londres qui visaient directement la population locale, ceux-là visent les touristes étrangers, même si cette fois ce sont surtout des Égyptiens qui ont été tués, par hasard semble-t-il. Bien sûr, s'en prendre aux vacanciers étrangers, qui ne peuvent apparaître que comme des riches et des privilégiés aux yeux de la population égyptienne qui doit survivre comme elle peut, c'est peut-être un calcul des terroristes qui peuvent penser que ce sera moins mal vu de la population égyptienne pauvre que de massacrer délibérément ceux qui se rendent à leur travail aux heures de pointe. Et puis un site comme Charm el-Cheikh, construit par Moubarak dans le désert à partir de rien grâce à des investissements coûteux, pour le plaisir et le luxe des vacanciers, alors que la population est privée du nécessaire est une véritable provocation pour la fraction -la majorité- extrêmement pauvre de la population. Les auteurs des attentats jouent sur ces sentiments de spoliation pour faire accepter l'odieux. Mais s'ils usent de démagogie envers la population, ils ne représentent pas ses intérêts à court ou à long terme et ils ont autant de mépris pour elle qu'ils en ont pour les touristes qu'ils massacrent. D'ailleurs, comme on vient de le voir, ils sont prêts aussi à risquer de faire de nombreux morts parmi la population elle-même. Et s'ils parvenaient au pouvoir, ce serait pour imposer, à leur tour, par la violence, la dictature des riches sur les pauvres, sans doute encore plus dure que celle de Moubarak.
Et il n'est même pas sûr que le résultat de l'horrible massacre de samedi dernier ne soit pas de renforcer la position de Moubarak et de lui permettre de se faire réélire plus largement lors des élections présidentielles de septembre prochain. Déjà une manifestation de l'opposition a été annulée et l'un des porte-parole de cette dernière affirme: "Ce n'est pas le moment d'organiser de nouvelles manifestations, ni même de réclamer la levée de l'état d'urgence." Le terrorisme des kamikazes sert de justification à la dictature contre toute la population.
Quelles que soient les idées affirmées de ces groupes religieux extrémistes, ni la dénonciation de la corruption du régime ni celle de sa complaisance vis-à-vis des grandes puissances qu'ils peuvent invoquer ne justifient de telles méthodes.