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Tribune de la minorité
Oui, ce sont des incendies criminels
À quelques jours de distance, à Paris, deux terribles catastrophes
Dix-sept morts, dont quatorze gamins, dans l'incendie du boulevard Auriol. Sans oublier la trentaine de blessés. L'escalier à courants d'air de l'immeuble a servi de torche. Les familles sorties brutalement de leur sommeil ont été livrées à un dramatique sauve qui peut. Les familles sinistrées sont celles de travailleurs de sociétés de nettoyage, d'éboueurs de la ville de Paris, d'origine malienne ou ivoirienne.
Nouvel incendie et même scénario, dans la nuit de lundi 29 à mardi 30 août, qui a fait sept morts dans un autre immeuble vétuste de la capitale, lui aussi habité par des familles d'origine africaine.
La faute à «pas de chance»? Non, la faute à la criminelle incurie de l'État. Les habitants des deux immeubles étaient acculés depuis des années à subir des conditions d'habitation du XIXe siècle.
Les immeubles devenus brasiers avaient des planchers branlants et par endroits largement troués. Des fils électriques pendouillaient. En cas de pluie, l'eau traversait les plafonds... Qui plus est, l'immeuble du boulevard Auriol vibrait parfois, sous l'ébranlement d'engins des chantiers voisins.
Car ce 20, Bd Vincent Auriol, était en plein dans la «ZAC Rive gauche», un immense périmètre livré depuis bientôt 20 ans aux démolisseurs puis bâtisseurs de la grande bibiothèque mais aussi de bureaux et logements de luxe. Quartier devenu riche et cher. Dans tout le secteur, il ne restait quasiment plus que deux blocs d'habitations anciennes. Les mômes jouant dans la rue au pied d'immeubles ultra-modernes de France Télécom, du ministère de l'économie ou autre grande banque, pas de doute que ça faisait tache!
Si cet immense chantier de rénovation prouve quelque chose, c'est que le fric ne manquait pas pour bâtir. Du moins bâtir du luxe et du prestige. Mais rien en revanche pour les familles ouvrières ballotées depuis 1992 d'un logement de fortune à l'autre, sur le même périmètre. Elles ont dû occuper d'abord un terrain SNCF. Après des mois de combat dans le cadre de divers collectifs, elles ont été successivement relogées un peu plus loin, dans un immeuble désaffecté, face à un ancien centre de tri postal. Puis certaines, dans l'immeuble devenu brasier. Une solution provisoire, qui dure depuis plus de 10 ans. À se demander si on ne serait pas confrontés à une affaire de promoteurs véreux qui financent des incendiaires pour faire déguerpir des locataires.
Quant aux habitants de l'immeuble du 3e arrondissement, ils attendaient de la même façon un relogement, promis à certains... depuis 20 ans. Et eux, n'avaient même pas l'eau au robinet!
Face au drame de vendredi dernier, Chirac et sa clique pleurent. Le maire de Paris idem. Plus jamais ça, disent-ils. Avec les mêmes postures qu'en avril dernier, après l'incendie d'un hôtel meublé du quartier de l'Opéra, faisant 24 morts. Depuis, rien.
Aujourd'hui, Borloo propose aux sinistrés un relogement en «hôtels sociaux»... comme celui précisément qui a brûlé il y a 5 mois. Sarkozy, lui, a la bassesse de parler de «tout un tas de gens, qui n'ont pas de papiers pour certains et s'amassent à Paris...». Si en tisonnant un peu, il récupérait quelques voix de xénophobes! Précisons que «ces gens» sont des salariés qui font un travail dur mais ne gagnent pas de quoi se loger correctement. La mairie de Paris recense toujours plus de 1000 bâtiments dangereux, soit 20000 foyers. Et par ailleurs, quelque 102500 demandes de logement en souffrance. Mais l'action des pouvoirs publics, de droite ou de gauche, s'arrête aux recensements.
Pour le reste, la tâche de replâtrage est dévolue à des associations caritatives, qui se voient confier par l'État la gestion d'immeubles pourris. L'association de l'abbé Pierre, Emmaüs, se retrouve ainsi sur la sellette, car c'est elle qui avait obtenu un bail de 50 ans pour assumer, tant bien que mal, la gestion du taudis Vincent Auriol. Mais les seuls coupables, les seuls criminels doit-on dire, ce sont les responsables de l'État. Leur refus de consacrer l'argent nécessaire à la construction de logements sociaux à prix abordable, pour mieux arroser le monde patronal sous prétexte d'aider l'emploi, a ses conséquences meurtrières. Et il est parfaitement indigne de parler d'«impuissance des pouvoirs publics à prévenir ces catastrophes». L'État et ses responsables ont tous les moyens, financiers ou juridiques, pour construire ou, en attendant, réquisitionner ce qu'il faut d'appartements vacants. Il n'en manque pas dans Paris et la banlieue bourgeoise.
Parmi les familles sinistrées, et bien au-delà parmi les travailleurs, c'est la colère et la révolte. Pour l'heure, les rescapés du boulevard Auriol restent volontairement ensemble, regroupés dans un gymnase, pour exiger un relogement définitif. Nous sommes totalement solidaires d'eux. Dans un monde au service des plus riches, où la course au profit passe avant les vies, nous sommes tous concernés par la défense de nos conditions de travail et d'existence au premier rang desquelles le logement. Nous devons être nombreux, très nombreux, à la manifestation dont le DAL (Droit au Logement) a pris l'initiative, samedi 3 septembre à Paris. Nous faire craindre est la seule façon que les choses bougent.