Le spectre d'une nouvelle épidémie plane sur la planète. Le virus coupable, appelé H5N1 par les scientifiques, est apparu en Asie en 2002 dans les élevages de volailles, s'est propagé depuis, via des oiseaux migrateurs, jusqu'en Europe. Il a atteint maintenant la Turquie, la Roumanie, la Bulgarie, la Grèce...

À ce jour, l'épidémie reste une maladie des animaux -c'est pour cela qu'on parle de grippe aviaire- mais le virus, parce qu'il est capable de passer à l'homme, a fait une soixantaine de victimes parmi des personnes qui étaient en contact étroit avec des animaux malades. Heureusement le virus H5N1 ne semble pas être, à ce jour, capable de passer de l'homme à l'homme. Le risque de contagion est donc encore limité, mais si le virus en devenait capable et pouvait donc se transmettre par un simple éternuement ou une quinte de toux, on ne parlerait plus de grippe aviaire mais de grippe humaine. On aurait alors tout à craindre de ce virus qui est un véritable tueur, puisque 70% des personnes infectées sont mortes. Le virus H5N1 pourrait devenir responsable d'une épidémie aussi redoutable que celle de la grippe espagnole qui, en trois vagues en 1918 et 1919, fit vingt millions de morts, plus que la guerre mondiale. Les scénarios les plus pessimistes évoquent déjà cette possibilité.

D'autres scénarios moins dramatiques se fondent sur l'exemple de l'épidémie de SRAS (pour syndrome respiratoire aigu sévère), qui, en 2003, avait touché près de 8000 personnes, en tuant près de 700 dans 31 pays. Le virus en cause était un virus d'origine animale qui avait muté et était devenu capable de se transmettre d'homme à homme, alors qu'avant 2003, il n'était responsable que de rhumes bénins... À cette époque l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) avait lancé pour la première fois de son histoire une alerte mondiale et évoqué le risque que le SRAS ne devienne la grippe espagnole du 21e siècle.... ce qui, pour le moment, ne s'est pas vérifié.

L'OMS n'a pas lancé de mise en garde mondiale contre le H5N1 et elle a maintenu son niveau de vigilance à trois sur une échelle de cinq. Mais elle met maintenant en oeuvre des moyens pour traquer le virus, afin d'éviter une dissémination, telle qu'elle s'est produite en Asie où il sévit aujourd'hui dans une douzaine de pays.

Selon Bernard Valat, directeur de l'office international d'épizooties (épidémies animales) les mesures de prévention (abattage systématique des bêtes malades et mise en quarantaine de l'élevage) risquent de ne pas être appliquées dans les pays pauvres d'Afrique qui seraient, du fait des migrations des oiseaux malades, la prochaine étape sur le chemin du virus. Par contre il se félicite que ces mesures de prévention soient prises dans les pays de l'Union européenne où on envisage d'interdire l'élevage des poulets à l'air libre. Il estime d'avance que ce qui n'a pas été fait dans les pays pauvres d'Asie ne le sera sans doute pas non plus dans ceux d'Afrique: en revanche ce sera sans doute fait dans une Europe qui a les moyens de se protéger.

C'est la même inégalité que l'on retrouve dans la prise en charge de la maladie. Il existe des médicaments appelés antiviraux, car ils peuvent empêcher le virus de se multiplier, comme le Tamiflu des laboratoires Roche. Mais devant l'explosion de la demande et alors qu'il serait urgent de multiplier les capacités de fabrication de ce médicament, Roche met en avant ses brevets valables jusqu'en 2016 et a refusé aux pays asiatiques le droit de copier ce médicament.

Les dirigeants de Roche, pour ne rien perdre de ce pactole -le Tamiflu leur a rapporté, en 2005, 660 millions d'euros- ont même breveté un procédé de synthèse de son principe actif, qui est d'origine végétale, fait à partir de l'anis étoilé chinois. Ils se protègent ainsi contre tout risque de rupture d'approvisionnement. Aujourd'hui Roche traite directement avec les gouvernements pour vendre des stocks de son anti-viral: 23 millions de doses pour le gouvernement français qui envisage de les distribuer gratuitement en cas d'épidémie. Les USA, eux, ont passé commande pour un milliard de dollars. Cyniquement Roche regrette que "les gouvernements négocient serré" et que les prix de ces stocks aient "peu à voir avec le prix de vente à l'unité soit 24,91 euros, la boîte de 10 gélules". Devant l'afflux des commandes, Roche vient de se donner l'air généreux... en se disant prêt à céder des licences... contre argent bien entendu!

Décidément avec l'industrie pharmaceutique il n'y a pas d'ambiguïtés: les médicaments sont réservés à ceux qui ont les moyens de les payer...

Quant au vaccin contre la grippe humaine qui permettrait, s'il était administré à tout le monde, de diminuer les risques de mutation du virus H5N1 par recomposition avec le premier, pour le moment aucun gouvernement n'envisage une vaccination systématique et gratuite...

La grippe aviaire n'est pas encore arrivée, mais elle nous rappelle déjà que les moyens incomparables dont on dispose aujourd'hui pour traquer les virus, et lutter contre les maladies dont ils sont responsables, sont bien loin d'être accessibles à tous sur cette planète.