Sur le campus de Jussieu : Scandale de l'amiante, scandale du désamiantage03/11/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/11/une1944.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Sur le campus de Jussieu : Scandale de l'amiante, scandale du désamiantage

Des dépenses qui progressent beaucoup plus vite que les travaux : voilà la situation à Jussieu, immense campus universitaire situé en plein Paris et truffé d'amiante. Cet ensemble de 420000 m2, qui héberge trois universités (Paris 6, Paris 7 et l'IPG, Institut de Physique du Globe), n'est pas seulement le plus grand chantier de désamiantage de France : c'est aussi une illustration caricaturale de l'imprévoyance et de l'incurie des gouvernements successifs... aux frais de la collectivité.

Une construction aberrante

Dès sa construction dans les années 1960, ce campus, destiné à accueillir plus de 50000 personnes, étudiants et salariés, était une insulte à la sécurité. Floqué à l'amiante malgré les dangers déjà bien connus de ce matériau, il était également dépourvu de tout dispositif face aux risques d'incendie. Dans les mois qui suivirent son ouverture, en 1973, l'alerte fut donnée tant par des syndicalistes que par des organismes officiels... sans aucun effet. Il fallut attendre 1978, et une loi prohibant l'utilisation de l'amiante dans les bâtiments collectifs pour qu'enfin des travaux soient entrepris... uniquement dans les rez-de-chaussée, alors que pas un des édifices du campus ne compte moins de cinq étages.

Ce n'est qu'en 1994, alors qu'éclataient un peu partout des scandales liés à l'amiante, que les choses commencèrent à bouger... et firent du surplace. Après des déclarations tonitruantes de Chirac, à l'été 1996, un calendrier des travaux fut annoncé par Bayrou, prévoyant un désamiantage du campus en trois ans, et qui devait coûter 135 millions d'euros. Fondé sur une étude préalable bâclée, ne tenant aucun compte des problèmes d'incendie, le plan Bayrou fut d'autant plus vite remisé qu'en 1997 arrivait à l'Éducation nationale, remplaçant Bayrou, Claude Allègre, un ministre qui n'avait jamais caché son opposition au désamiantage de Jussieu.

L'année suivante, l'ensemble des travaux étaient revus à la hausse, en intégrant cette fois le problème de la tenue au feu des bâtiments. Il faut dire qu'une étude largement diffusée dans le public montrait qu'en cas d'incendie, ceux-ci résisteraient environ 10 minutes, là où le minimum légal est d'une heure et demie. Et depuis 1974 et les premières injonctions en ce sens, il n'existait toujours ni système d'alarme incendie, ni portes coupe-feu.

Un chantier improvisé

On entamait donc, enfin, un chantier de grande ampleur... mais sans avoir le moins du monde anticipé la question des lieux dans lesquels on allait caser, provisoirement ou définitivement, les différents services dont les locaux étaient en cours de désamiantage. Pour le provisoire, on se mit à louer à prix d'or à des bailleurs privés, des immeubles dans Paris et la proche banlieue. Pour le définitif, on décida que si une partie resterait à Jussieu, une autre occuperait des nouveaux bâtiments, érigés sur la ZAC Tolbiac, et dont les premiers devaient être livrés en 2001.

Le hic, c'est que cette ZAC Tolbiac est elle-même restée à l'état de projet jusqu'à... fin 2004, et que la surface prévue est inférieure aux besoins de l'Université destinée à y emménager.

Tous les délais ont explosé. À l'heure actuelle, il reste 15000 personnes sur le campus de Jussieu. Sur les 37 barres que compte celui-ci, seules 8 ont été désamiantées, et 21 autres sont en travaux. Officiellement, le chantier - initialement prévu pour être terminé en 2000 - ne sera pas achevé avant 2012. Quant à la ZAC Tolbiac, les premiers locaux devraient être disponibles au mieux en 2006...

Avec les délais, les factures se sont elles aussi envolées. L'université Paris 7 est maintenant éclatée sur 23 sites différents, dont la location engloutit des sommes faramineuses. Charité bien ordonnée commençant par soi-même, la direction de Paris 7, ayant quitté en toute hâte la tour centrale de Jussieu subitement déclarée dangereuse en 2002, s'est installée dans un luxueux bâtiment appartenant à Réseau Ferré de France, pour lequel elle verse le coquet loyer de 40 millions d'euros par an. Avantage, pour ce prix-là, l'immeuble est sous haute surveillance policière, et dès que quelques étudiants ou personnels en colère y pointent le bout de leur nez, ils y sont promptement rejoints par plusieurs compagnies de CRS.

Au total, les dépenses liées au désamiantage de Jussieu sont aujourd'hui estimées à 1,1 milliard d'euros, soit neuf fois plus que les prévisions initiales... Le bilan humain, lui, s'alourdit également. On compte déjà 110 cas de maladies professionnelles, et les cas liés à l'amiante étant longs à se déclarer, ce chiffre est destiné à augmenter dans les années à venir.

Ce qui n'empêchera pas, pendant encore au moins sept ans, les zones du campus non désamiantées d'être toujours occupées...

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