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Dans le monde
Hissène Habré : Un accusé encombrant
Que faire de Hissène Habré, ancien dictateur du Tchad de 1982 à 1990, et réfugié depuis lors au Sénégal? Cette question embarrasse les dirigeants du Sénégal.
Hissène Habré est en effet sous le coup d'un mandat d'arrêt international et d'une demande d'extradition prononcés par la justice belge, qui a proclamé depuis quelque temps sa «compétence universelle» en cas de crime contre l'humanité. Du coup, plusieurs Belges d'origine tchadienne ont porté plainte.
Mais les dirigeants du Sénégal, qui ont accueilli et protégé Hissène Habré durant quinze ans, ne sont pas pressés de donner satisfaction aux juges belges. Afin de répondre néanmoins aux pressions de la Belgique, sans doute appuyée par d'autres puissances occidentales, ils ont trouvé une échappatoire, en annonçant qu'Hissène Habré allait être remis au président de l'Organisation de l'Unité Africaine. Lequel doit être bien embêté de ce cadeau, étant donné qu'il n'a aucune prérogative lui permettant de juger l'ancien dictateur tchadien.
Bien que personne ne puisse chiffrer avec certitude les crimes d'Habré, une commission d'enquête établie par son successeur Idriss Déby a avancé le nombre de 40000 assassinats politiques et de tortures systématiques.
Mais comment justice pourrait-elle être rendue par des régimes dont les crimes n'ont pas grand-chose à envier à celui du «Pinochet tchadien», le surnom qui lui est resté de ses années de pouvoir? Quant à ceux que l'on désigne sous le nom de démocraties occidentales, elles portent une lourde responsabilité dans son accession et son maintien au pouvoir.
Ce sont elles en effet, à commencer par la France, qui ont armé et soutenu un homme qu'elles font aujourd'hui mine de désavouer. Lorsqu'en 1982 Hissène Habré, d'opposant à la dictature tchadienne de l'époque, devint lui-même dictateur, l'État français s'en accommoda d'autant plus qu'il faisait régner l'ordre à l'intérieur du pays, qu'il s'opposait au régime du Libyen Kadhafi et qu'il protégeait les intérêts des entreprises françaises. À commencer par Elf, qui entendait exploiter le pétrole tchadien découvert en 1969.
La France a soutenu activement le régime d'Habré en lui procurant armes, logistique et troupes, intervenant même militairement à ses côtés à deux reprises lors des opérations Manta (1983) et Épervier (1986) dirigées contre la Libye.
Le lâchage d'Hissène Habré par la France en 1990 doit beaucoup moins à une crise tardive et soudaine de morale démocratique de la part de Mitterrand, qu'au fait qu'Habré venait précisément de mettre en cause les bénéfices attendus par Elf de l'or noir tchadien.
Hissène Habré, que les dirigeants africains se renvoient aujourd'hui les uns aux autres comme une patate chaude, s'il est finalement jugé, le sera par des régimes aussi criminels que lui. Pour que justice soit vraiment rendue, il faudrait que, sur le banc des accusés, ses complices l'accompagnent. Y compris nombre de prétendus démocrates qui le dénoncent aujourd'hui, après l'avoir longuement soutenu.