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Leur société
Outreau : La justice, machine à broyer les gens du peuple
Six accusés qui avaient été condamnés en 2004 dans le premier procès pour pédophilie d'Outreau, dans le Pas-de-Calais, ont été acquittés et libérés. Il aura fallu près de cinq ans pour que leur innocence soit reconnue. Il manquait l'un d'eux, qui s'était suicidé après quinze mois de détention provisoire.
Des hauts magistrats à Chirac, en passant par Villepin et le ministre de la Justice, on présente des excuses et on promet des réformes pour que la justice ne soit plus cette machine à briser des vies, comme elle l'a fait dans ce quartier populaire de la ville d'Outreau. Mais comment cette justice pourrait ne pas être à l'image d'une société fondée sur l'injustice, l'inégalité?
À l'ouverture du second procès, le procureur général de Paris parlait, à propos du premier jugement, d'une "véritable catastrophe judiciaire", ajoutant que ce qui s'était passé à Outreau ne représentait pas la justice au quotidien. Cela a fait réagir Dominique Wiel, prêtre ouvrier et l'un des condamnés, incarcéré depuis le 15 novembre 2001, qui venait d'être libéré: "Est-ce que vraiment ce qui s'est passé à Outreau, cela ne se passe jamais dans aucun prétoire de France? J'aimerais bien que ce qu'il dit de la justice au quotidien soit vrai."
Des patrons criminels qui, dans le cas de l'amiante, ont empoisonné des ouvriers en masse, peuvent impunément continuer à faire leurs profits, sans que cette justice y mette un frein. Les preuves matérielles sont pourtant incontestables (ce qui n'a jamais été le cas à l'encontre des treize accusés d'Outreau, innocentés après coup), mais les associations regroupant les victimes de l'amiante et leurs proches doivent encore mener une lutte obstinée pour essayer d'obtenir l'intervention de la justice pénale.
Ce mépris, cette indifférence ou cette dureté envers les gens de milieu populaire, on le retrouve aussi à Outreau. Un des accusés a décrit ainsi son passage devant les juges: "Le président chuchotait à l'oreille de son assesseur. Un autre bâillait. On m'écoutait à peine. Je n'étais plus rien." "On était des pauvres gens, la classe sociale la plus basse. Tout le monde s'en foutait qu'on soit accusés", a déclaré une autre accusée.
Aujourd'hui, derrière les excuses des hauts personnages de l'État, se profile l'idée que le procès d'Outreau serait une bavure exceptionnelle dans l'hermine d'une justice immaculée. Oublié Patrick Dils qui, à dix-huit ans et demi, a été condamné à perpétuité en 1989 pour le meurtre de deux garçons à Montigny-lès-Metz, en Moselle? Son innocence a été reconnue en 2002 après qu'il eut passé quinze ans en prison, victime d'une erreur judiciaire pour laquelle l'État français lui a versé un million d'euros. Quant à Christian Ranucci, représentant de commerce de 22 ans accusé du meurtre d'une fillette dans la région de Marseille, condamné à mort, il a été exécuté le 28 juillet 1976, après une enquête bâclée comme l'avait montré Gilles Perrault dans son livre, le Pull-over rouge. Il faut aussi rappeler Omar Raddad, jardinier marocain, condamné lui aussi après une enquête, elle aussi à l'évidence bâclée. Il a été gracié par Chirac mais jamais réhabilité par cette justice qui refuse obstinément de se déjuger.
Il a fallu attendre 2005 pour que la commission de révision des condamnations accepte le principe d'une procédure de révision de la condamnation de Guillaume Seznec, condamné au bagne en 1924 pour un meurtre dont l'existence même n'a jamais été prouvée, et lui non plus n'a jamais été réhabilité. Dominique Perben, ministre de la Justice lors de la décision de révision s'était félicité à cette occasion, en déclarant: "L'institution judiciaire donne une image ouverte d'elle-même." Et à ces exemples qui ont défrayé la chronique, il faudrait en ajouter bien d'autres.
Rendre la justice n'est sans doute pas facile. Mais ce n'est pas la seule chose qui explique ces "catastrophes judiciaires". Parce qu'elle défend les intérêts d'une minorité de possédants contre la majorité de la population, toute la machinerie de l'État, armée, police, justice est mise à l'abri de tout contrôle de la part des citoyens. "Porter atteinte au moral de l'armée", demander son matricule à un agent de police, critiquer une décision de justice sont même des délits passibles de poursuite.
Qu'on ne s'étonne pas après cela que les "bavures" fassent partie du fonctionnement habituel de ces institutions!