Grippe aviaire : Un révélateur de la démence de cette société08/03/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/03/une1962.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Grippe aviaire : Un révélateur de la démence de cette société

Pas un cygne ou un canard ne meurt de la grippe aviaire dans un marais français sans que l'on en soit copieusement informé par les médias. En revanche, rien ou pas grand-chose ne transparaît de l'évolution de cette infection dans les pays pauvres d'Asie et d'Afrique. Elle y a pourtant fait des dizaines de millions de victimes parmi les oiseaux et elle pourrait y avoir, demain, les conséquences les plus graves parmi les populations humaines.

Les mesures qui s'imposent pour circonscrire l'infection des oiseaux par le virus de la grippe aviaire sont connues depuis des décennies, on pourrait même dire des siècles: imposer des cordons sanitaires et instaurer des quarantaines. Quand un élevage est atteint, il faut abattre tous les volatiles et ceux des élevages proches. Au-delà, il faut confiner les volailles ou les vacciner pour les mettre à l'abri d'une contamination par les oiseaux sauvages. Et puis il faut interdire les marchés de volailles, contrôler les déplacements de population, etc. C'est ce qu'on a vu se mettre en place, très vite, dans l'Ain et en Camargue. À juste titre, car c'est le seul moyen d'enrayer la propagation du virus.

Mais en Afrique, où le Nigeria a été le premier pays déclaré atteint et où le virus risque d'infester tout le continent, ces moyens-là sont impossibles à mettre en oeuvre. C'est une hypocrisie complète d'y recommander l'abattage des volailles, alors qu'il n'y a pas d'indemnisation prévue pour les éleveurs, ni surtout pour ceux qui n'ont que quelques poules de basse-cour pour assurer leur survie. Quant à prôner la vaccination de centaines de millions de volailles (il y aurait plus d'un milliard de volailles en Afrique), c'est carrément un leurre quand chaque dose de vaccin coûte 40 centimes d'euro et que les infrastructures vétérinaires font totalement défaut.

L'épizootie de grippe aviaire ne date pas d'hier. Elle remonte à décembre 2003. Partant de Corée, de proche en proche, en quelques semaines, tous les pays du Sud-Est asiatique ont été touchés. Des millions de volailles en sont mortes. Des hommes et des femmes aussi car, si ce virus spécifique des oiseaux ne se transmet que très exceptionnellement à l'homme, la contamination est cependant possible dans les conditions de promiscuité entre les volailles et les hommes, telles qu'elles règnent dans les régions les plus pauvres. À ce jour, près de 200 personnes ont ainsi été contaminées par des volailles et près de la moitié sont mortes, toutes dans des pays pauvres.

Dès les premiers mois de la crise, les experts sanitaires envisageaient les risques d'extension planétaire de la grippe aviaire. Comme le déclarait récemment dans une interview au journal Libération le directeur de la FAO, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, la communauté internationale était alertée dès l'année 2004 sur le thème "Mettons le paquet maintenant pour circonscrire l'épidémie".

Mais rien n'a été fait. Les pays les plus riches, ceux où les cerveaux les plus instruits ont inventé les mesures de protection contre les infections et contre la propagation des épidémies, ont laissé, en toute connaissance de cause, l'infection se développer. Le virus s'est donc propagé et, comme il ne reconnaît pas les frontières, l'épizootie s'étend progressivement à tous les pays d'Eurasie et d'Afrique. Et c'est dans les pays pauvres, notamment en Afrique, là où les mesures de séparation des volailles et des hommes sont un voeu pieux, que les cas de contamination des populations par les poules seront les plus nombreux et donc que les conséquences seront les plus dramatiques. D'autant qu'elles seront encore aggravées par les épidémies de sida, de malaria, de tuberculose et de toutes ces maladies dont on meurt là-bas, alors qu'on sait pourtant les traiter sinon les guérir.

Sans compter que, plus le virus se répand, et plus le risque augmente qu'il subisse une mutation. On pourrait alors voir apparaître un virus totalement nouveau pour nos défenses immunitaires et, lui, contagieux d'homme à homme. Il en découlerait une véritable pandémie qui toucherait toutes les populations humaines. C'est à ce risque, que les États les plus riches se sont préparés en stockant du Tamiflu et des masques de protection. À la même époque, ils restaient sourds à ceux qui en appelaient à des mesures pour circonscrire l'épizootie et ils laissaient ainsi le virus se répandre et... préparer la pandémie.

C'est vraiment un monde fou!

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