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Leur société
Changer la Constitution pour quoi faire?
«Ambiance délétère», «crise institutionnelle», «crise de régime», «véritable cloaque», «décomposition du régime chiraquien», «institutions de la Ve République impuissantes. De la droite à la gauche, de l'UMP au PC en passant par les Verts, de Bayrou à Ségolène Royal, l'affaire Clearstream suscite des commentaires variés. On y entend les cris de la morale scandalisée et ceux de démission à l'adresse du gouvernement. Hollande, rappelant le vote de la gauche pour Chirac, joue les vertus outragées et s'écrie: «Qu'ont-ils fait du mandat reçu?» Tout cela a un petit air de vaudeville avec, en fond, une préoccupation très sérieuse pour l'ensemble de la classe politique: retrouver une certaine crédibilité en changeant, par exemple, les règles institutionnelles.
Sans doute, la situation actuelle commence-t-elle à évoquer fâcheusement les dernières années de la Quatrième République. Elle commence seulement, car la rotation ministérielle est loin de la valse des ministères des années cinquante et la situation politique très différente. C'est l'incapacité de la bourgeoisie française à résoudre le problème algérien qui lui fit rechercher, en 1958, un salut en De Gaulle. Celui-ci se fit accorder d'abord les pleins pouvoirs, ensuite une Constitution sur mesure émancipant le pouvoir présidentiel du contrôle des partis; l'autonomie du chef de l'État fut complétée en 1962 par son élection au suffrage universel. Ce fut une Constitution taillée sur mesure, un régime de caractère bonapartiste, né d'une situation jusque-là inextricable et reposant sur un général-président capable de faire accepter l'indépendance de l'Algérie à ses amis politiques -y compris son Premier ministre- partisans de l'Algérie française, et de réduire la gauche à la portion congrue.
Cette Constitution que Mitterrand traita de «coup d'État permanent» a duré jusqu'à maintenant. Elle fut utilisée par ce même Mitterrand, dont les critiques sur les institutions se faisaient de plus en plus discrètes au fur et à mesure qu'il approchait du pouvoir. Il en profita, au moins pendant ses premières années à l'Élysée, ayant aligné la gauche derrière sa personne après son OPA sur le Parti Socialiste, grâce à l'effacement du Parti Communiste. L'état de grâce ne dura pas, ni pour le président, ni pour l'efficacité d'une Constitution et après quelques cohabitations laborieuses, on se retrouve avec un président qui ne domine pas grand-chose et surtout pas les clans de sa propre majorité.
D'où l'idée de réformer la Constitution pour assainir la situation; les partis politiques de tous bords parlent beaucoup de morale, de principes; ce dont ils discutent en réalité, c'est de la meilleure manière de gérer sur le plan institutionnel les affaires de la bourgeoisie. Trouver des règles pour redonner une certaine crédibilité au pouvoir, essayer d'assurer, outre leur situation personnelle, un climat plus propice au fonctionnement normal du pays, voilà ce qui les préoccupe. Mais le fonctionnement normal, c'est celui d'une économie et d'une politique au service de la bourgeoisie.
C'est un débat dont les travailleurs n'ont rien à espérer; et ceux qui, à l'extrême gauche, prônent une révision de la Constitution, ne font que s'aligner sur une préoccupation qui n'a pas de sens pour les travailleurs. Car, en dehors des situations où la classe ouvrière en lutte postule elle-même à l'exercice du pouvoir, c'est la bourgeoisie qui contrôle l'économie et l'appareil d'État et qui impose sa volonté à tous les hommes politiques, de gauche ou de droite, qui n'aspirent qu'à la servir.