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Leur société
L’ombre de l’État plane sur EADS
Le groupe d'aéronautique et d'aérospatiale EADS a fait parler de lui ces dernières semaines, du fait que l'un de ses dirigeants serait le «corbeau» de l'affaire Clearstream. Mais, hormis le rappel ici ou là dans les médias qu'EADS est le consortium européen qui construit l'Airbus (avec parfois la précision que la fusée Ariane et Eurocopter, c'est lui encore), le grand public n'en saura guère plus sur ce groupe.
Et pour cause. Une grande partie des médias se trouve sous le contrôle, direct ou non, du principal actionnaire français privé d'EADS, le groupe Lagardère. Lui appartiennent Europe 1 et Europe 2, des quotidiens régionaux, des hebdomadaires comme Match, L'Événement, Le Journal du Dimanche, Elle, France-Dimanche. Il a aussi des participations dans Canal + et des quotidiens nationaux, tels Le Monde et même, eh oui, L'Humanité. La liste serait bien longue si l'on devait tous les citer. En outre, via sa filiale Hachette, Lagardère tient les NMPP, donc les rênes de la diffusion en kiosque de la presse. Si l'on ajoute que ce groupe contrôle plus de la moitié des maisons d'édition, on comprend qu'il y a peu de chances que paraissent des articles ou des livres relatant ses agissements réels.
Il y aurait pourtant beaucoup à dire sur la façon dont Jean-Claude Lagardère, le fondateur du groupe, a bénéficié tout au long de sa carrière du soutien constant et multiforme des gouvernements successifs, quelle que soit leur couleur politique. Sous De Gaulle, Pompidou, puis Giscard, il y a eu les commandes de l'État pour la société d'armement Matra, noyau originel du groupe Lagardère, le fait que Giscard lui apporta sur un plateau le groupe Hachette et l'aida à prendre pied dans d'autres groupes d'armement, d'horlogerie industrielle, d'appareillages de mesure...
Sous Mitterrand, Matra non seulement ne fut pas entièrement privatisé, mais il fut remis à flot par l'État au milieu des années quatre-vingt. Puis, c'est sous le Premier ministre socialiste Bérégovoy que Lagardère commença, avec l'aide du gouvernement, à constituer un véritable empire dans l'édition. En 1992, c'est le Crédit Lyonnais, alors encore banque nationalisée, qui vint à la rescousse financière du groupe Matra-Hachette.
Mais le véritable triomphe de Lagardère fut assuré par Jospin, qui décida de privatiser la société Aérospatiale. Alors que la valeur de celle-ci avait été estimée entre 9 et 24 milliards d'euros, Jospin et son ministre de l'Économie Strauss-Kahn firent sensation en annonçant au Salon de l'Aviation de 1999 qu'ils la cédaient à Lagardère pour deux milliards. Et encore, il ne versait que 0,85 milliard. Le reste était dû au bout de deux ans, et seulement si l'entreprise avec ses 30000 salariés, sa dizaine d'usines, ses lanceurs civils, ses missiles militaires, ses hélicoptères et ses avions Airbus arrivait à dégager une rentabilité de 8%!
C'était un cadeau royal, doublé de profits garantis par le gouvernement du PS. Et ce n'était pas fini. Le lancement du géant des airs, l'Airbus A380, s'annonçant difficile, Lagardère déclara refuser de «s'engager dans ce programme de 12 milliards d'euros qui compromettrait ses objectifs ambitieux de rentabilité». Alors l'État, qui avait financé Aérospatiale quand elle était une entreprise publique, continua de mettre au pot, celui de Lagardère. Au final, celui-ci allait se retrouver avec 35% du capital d'EADS, un consortium européen issu de la fusion de Matra-Aérospatiale avec le groupe allemand DASA.
Lagardère n'allait pas s'arrêter en si beau chemin. Sous prétexte de faire une place à la société espagnole CASA dans le capital d'EADS, il revendit une partie de ses actions pour 1,18 milliard d'euros. Il récupérait ainsi pratiquement sa mise initiale, tout en conservant la direction d'EADS.
Le successeur de Jospin, Raffarin, allait, lui, aider le groupe Lagardère à récupérer une grande partie de l'empire de presse et d'édition de Vivendi, puis de celui d'Hersant. Et en avril dernier la Caisse des dépôts et consignations, un organisme qui sert à l'État de bras financier, a annoncé reprendre à Lagardère 2,25% du capital d'EADS pour 600 millions d'euros. Cela tombe bien: après plusieurs années de forte croissante des bénéfices (le dividende versé aux actionnaires d'EADS a augmenté de 30% en 2005), le groupe Lagardère, qui craint que ces profits se tassent, souhaitait reprendre une partie de ses billes. Elles ne lui ont rien coûté, mais elles lui ont rapporté et continuent à lui rapporter gros, très gros, avec le soutien des gouvernements successifs.