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Liban, après l'assassinat du ministre Gemayel : Vers l'affrontement armé ?
Après l'assassinat de Pierre Gemayel, le 21 novembre à Beyrouth, les dirigeants et les medias occidentaux ont retrouvé un de leurs thèmes favoris. Ils ont accusé encore une fois la Syrie de tous les maux du Liban, attribuant au régime de Bachar Al Assad la responsabilité des assassinats successifs de journalistes ou de dirigeants politiques depuis deux ans.
Le régime syrien n'est certainement pas un modèle d'innocence. Cependant ceux qui résument la situation libanaise à cette opposition entre des "bons", anti-syriens, et des "méchants", pro-syriens, mentent de façon intéressée ; à commencer par les dirigeants occidentaux, et notamment français.
Le gouvernement libanais de Fouad Siniora est dominé par le rassemblement dit "du 14 mars", regroupant les représentants d'une bourgeoisie affairiste, chrétienne maronite et musulmane sunnite, qui veut se faire l'agent direct des intérêts américains et occidentaux, au mépris des intérêts de la majorité de la population.
Le ministre Pierre Gemayel lui-même était le rejeton d'une lignée familiale dont l'ancêtre, Pierre Gemayel senior, avait été le fondateur d'un parti fasciste au Liban à son retour des Jeux Olympiques de Berlin en 1936. Pierre Gemayel junior était un ministre de ce parti, le parti phalangiste, et n'en reniait pas l'histoire, jalonnée de nombreux massacres. Il était connu pour ses déclarations, parfois carrément racistes à l'égard de la population chiite du Liban, qu'il avait qualifiée de "bétail".
C'est sur ce gouvernement Siniora que les États-Unis et la France ont tenté de s'appuyer pour imposer leurs intérêts dans la région aux dépens de puissances comme la Syrie et l'Iran. Cela est dans la continuité de la politique coloniale de la France qui a créé un Liban séparé de la Syrie et institutionnalisé ses divisions religieuses pour mieux le dominer. Mais cette politique se heurte maintenant à des retours de bâton.
En Irak, les États-Unis s'enfoncent dans le bourbier que l'on sait. Au Liban, Israël a mené cet été une guerre meurtrière sans réussir à écraser le Hezbollah, implanté dans le Sud à majorité musulmane chiite et allié de l'Iran. Le Hezbollah en est sorti renforcé, au moins sur le plan politique. En effet, alors que ses combattants ont réussi à tenir tête à l'armée israélienne, les autres partis du gouvernement libanais ont surtout brillé par leur absence, incapables même de prendre les mesures élémentaires de défense et d'aide à la population civile.
Aujourd'hui, face à un mouvement "du 14 mars" qui est en partie discrédité, le Hezbollah et ses alliés, l'autre parti chiite Amal mais aussi le "courant patriotique libre" du général chrétien Michel Aoun, demandent une plus grande place au gouvernement. Les ministres chiites du Hezbollah et de Amal ont démissionné, demandant un remaniement ministériel en leur faveur ou des élections anticipées, mais le gouvernement Siniora voudrait continuer comme si de rien n'était. L'assassinat du ministre Gemayel est une pression supplémentaire pour l'en empêcher. En effet, il suffirait qu'un autre ministre vienne à manquer au gouvernement Siniora pour que celui-ci soit constitutionnellement empêché d'agir, et chaque ministre peut comprendre la menace.
L'assassinat intervient dans un climat tendu. Les différents partis semblent se préparer à l'affrontement armé, comme cela avait été le cas lors de la guerre civile de 1975 à 1990. Chacun cherche à attiser la haine entre les différentes communautés religieuses qui composent le Liban, chrétiens maronites, musulmans sunnites et chiites ou druzes. Et si un compromis peut encore intervenir pour la composition du gouvernement, il n'est pas sûr que cela arrête cette marche vers l'affrontement.
Les différentes fractions de la population libanaise risqueraient alors de servir de chair à canon pour des intérêts qui ne sont pas les leurs. Et la première responsabilité en reviendrait aux dirigeants impérialistes et à leurs manoeuvres pour tenter de faire de telle ou telle minorité, religieuse ou ethnique, le serviteur privilégié de leurs intérêts ; quitte à la lâcher le jour où le rapport de forces imposera de trouver un accord, par exemple avec la Syrie et l'Iran aujourd'hui vilipendés.