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Corée du Sud : Mobilisation populaire et répression policière
Depuis la mi-mai, une vague de mobilisation populaire a déferlé sur la Corée du Sud. Partie de manifestations paysannes et étudiantes contre la reprise des importations de viande de boeuf des États-Unis (suspendues suite à des cas de vache folle), cette vague est vite devenue un grand mouvement de protestation contre le régime du Grand Parti National (GPN) lui-même.
C'est en décembre dernier que le GPN a accédé à la présidence. Ce succès était un désaveu du Parti Démocratique Unifié, discrédité par huit années d'austérité, mais aussi l'expression des illusions suscitées par le soutien donné au GPN par la Fédération des Syndicats Coréens qui, bien que descendante du syndicat officiel de l'ère de la dictature, reste la plus grande centrale du pays.
Mais le GPN ne fit pas longtemps illusion. À peine à la présidence, il se trouva au centre de scandales de fraude et de corruption. De sorte que, quatre mois après, le GPN réussit tout juste à s'assurer une majorité de deux sièges lors des législatives d'avril, avec un taux d'abstention sans précédent en Corée (64 % des inscrits).
Le nouveau régime s'engagea néanmoins dans une politique brutale de réduction des dépenses publiques et de privatisations tous azimuts. Les promesses électorales concernant les droits des précaires (une grande partie de la classe ouvrière, y compris dans les grandes entreprises), les droits syndicaux ou la protection sociale, furent vite oubliés, voire servirent à couvrir des mesures pires que les anciennes, par exemple concernant le droit de grève ou les précaires.
C'est le mécontentement résultant, aggravé par la hausse des prix et les menaces sur l'emploi liées à la crise économique, qui a poussé des dizaines, voire parfois des centaines de milliers de manifestants dans les rues des grandes villes, presque quotidiennement, pendant plus de deux mois. Parmi eux il y avait un grand nombre de jeunes, mais aussi de travailleurs venus manifester contre le régime, à l'appel plus ou moins officiel de la Confédération Coréenne des Syndicats (la centrale issue de l'explosion ouvrière de 1987 qui sonna le glas de la dictature).
Fin juillet, les manifestations s'espacèrent, mais déjà la classe ouvrière avait pris le relai. Des grèves se développaient dans de nombreux secteurs de l'économie, le plus souvent pour la transformation de postes précaires en postes fixes et/ou pour les salaires. C'est ainsi qu'en juillet-août, par exemple, cinq grèves eurent lieu dans la plus grosse usine du pays (Hyundai Motors à Ulsan, 35 000 ouvriers) ainsi que des mouvements similaires chez Kia (filiale d'Hyundai) et Daewoo Motors (filiale de General Motors).
Face à cette vague de protestations, le pouvoir réagit par la répression, ramenant des relents des temps de la dictature. Les brutalités policières furent d'ailleurs pour quelque chose dans la montée du mouvement et les ouvriers en grève ne furent pas mieux traités, que ce soit par la police ou par les hommes de main auxquels le patronat coréen a souvent recours. À la mi-août, la direction de la Confédération Coréenne des Syndicats dénonçait, par exemple, le maintien en détention et les poursuites visant 21 de ses responsables, dont les principaux dirigeants du syndicat des métaux, qui organise, entre autres, l'automobile. En fait, il n'y a pas une grève, pas une manifestation, qui se soit déroulée sans l'arrestation de responsables et de participants, que ce soit pour " entrave aux affaires " (un délit criminel !) ou rassemblement illégal.
Fin août la police de Séoul est allée jusqu'à user de la vieille Loi de Sécurité Nationale (loi anticommuniste de la dictature qui s'en servait contre les partisans de la Corée du Nord) pour arrêter sept militants de la Ligue Socialiste des Travailleurs, groupe révolutionnaire pourtant notoirement critique du régime de Corée du Nord, mais qui a sans doute le tort de défendre ses idées dans certaines entreprises. Face au scandale, les juges de Séoul ont mis fin après trois jours à la détention provisoire de ces camarades. Mais ils restent l'objet de procédures criminelles et seront jugés ultérieurement.
Aujourd'hui, les grèves continuent. Elles sont sans doute affaiblies par les ambiguïtés de la Confédération Coréenne des Syndicats, qui se retranche derrière la question du boeuf américain sans donner d'objectifs clairs répondant aux problèmes de la classe ouvrière, alors même que sur le terrain ce sont ses sections syndicales et militants qui sont à la pointe de la plupart des grèves. L'avenir dira si ces ambiguïtés suffisent à désarmer une classe ouvrière qui a bien souvent montré sa combativité dans le passé.