- Accueil
- Lutte ouvrière n°2184
- 17-18 juin 1940 - Pétain - De Gaulle, comment on réécrit l'histoire
Divers
17-18 juin 1940 - Pétain - De Gaulle, comment on réécrit l'histoire
Juin 1940 : moins d'un mois après le début de l'offensive allemande à l'ouest, qui lui avait permis d'occuper la Hollande, la Belgique et le nord de la France, la Wehrmacht perce la ligne de défense établie sur la Somme et sur l'Oise. Le 14 juin Paris est occupé.
Le 17, Pétain, nouveau chef du gouvernement, parle à la radio en déclarant : « C'est le coeur serré que je vous dis aujourd'hui qu'il faut cesser les combats. (...) Je me suis adressé cette nuit à l'adversaire pour lui demander s'il est prêt à rechercher avec nous, entre soldats, après la lutte et dans l'honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités. »
Le 18, De Gaulle déclare à la radio de Londres : « Quoi qu'il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas. »
La première de ces deux interventions radiophoniques a été accueillie avec soulagement par des millions de personnes à l'époque. La seconde n'a eu que quelques rares auditeurs. Mais c'est elle qui est le centre de toutes les commémorations en ce soixante-dixième anniversaire, où il est de bon ton d'opposer l'esprit de résistance républicain du général au défaitisme, puis à la trahison du maréchal qui devint le chef de la dictature militaro-policière que fut l'« État français ».
Les deux hommes n'étaient pourtant pas politiquement si différents. De Gaulle avait longtemps été le collaborateur de Pétain, et ils partageaient les mêmes idées réactionnaires. La défaite militaire française avait donné à Pétain l'occasion d'arriver au pouvoir, et de balayer en moins d'un mois la Troisième République, avec l'ambition, non pas de protéger les Français (thème de tous les historiens peu ou prou pétainistes), mais de maintenir dans la mesure du possible un appareil d'État français, au service des classes possédantes, leur évitant de subir le sort d'une Pologne qui, après sa défaite, avait été transformée en véritable colonie soumise sans défense au bon - ou plutôt mauvais - vouloir des vainqueurs.
Dans ce scénario-là, l'obscur général de brigade à titre temporaire, qui n'avait occupé que dix jours un poste gouvernemental, et encore de deuxième rang (sous-secrétaire d'État à la Guerre), n'avait aucun rôle à jouer. D'autant que, depuis des années, il s'était opposé aux conceptions stratégiques du « vainqueur de Verdun », en prônant l'emploi de forces concentrées de blindés, qui venait si bien de réussir à l'état-major allemand.
Lâché par son allié français (auquel il n'avait d'ailleurs pas apporté un grand secours), le gouvernement anglais aurait voulu rallier à lui des hommes politiques français de poids, susceptibles de maintenir dans la guerre la flotte et l'Empire colonial français. Mais tous les pressentis se défilèrent, et comme, faute de grives, on mange des merles, la Grande-Bretagne, qui s'attendait à une tentative de débarquement allemand à travers la Manche, mit quelques moyens à la disposition de De Gaulle, reconnu comme chef des « Français libres ».
Celui-ci se retrouva alors jouer un rôle symétrique à celui de Pétain, en défendant les intérêts futurs de la bourgeoisie française, auprès des Britanniques d'abord, des alliés anglo-américains ensuite, à partir de l'entrée en guerre des USA.
Si Hitler avait gagné la guerre, c'est sans nul doute Pétain que les livres d'histoire célébreraient aujourd'hui comme le sauveur de la France (peut-être réduite à la portion congrue), et personne ne se souviendrait du « général félon » qui s'était « réfugié » à Londres. Mais De Gaulle avait fait le bon pari.
Il fut, pour les Anglo-Américains un allié encombrant, défendant avec intransigeance les intérêts de « la France » - c'est-à-dire de sa bourgeoisie - auquel les USA auraient bien aimé substituer un partenaire plus docile, mais qui s'imposa grâce à l'appui que lui apporta la « Résistance intérieure », en particulier le Parti Communiste.
C'est ainsi que naquit la légende d'un « gaullisme » situé au-dessus des partis, quand De Gaulle, après l'invasion de l'URSS par l'armée allemande et le passage du Parti Communiste à la résistance armée, mit momentanément son anticommunisme dans sa poche, tout comme Churchill, pourfendeur du « bolchévisme », se découvrit une amitié soudaine pour Staline.
Mais la défense de la démocratie par De Gaulle et les forces politiques qui le soutinrent, les peuples coloniaux opprimés par le colonialisme français ont pu en mesurer dès mai 1945 le caractère mensonger.