Russie : Après le limogeage du maire de Moscou06/10/20102010Journal/medias/journalnumero/images/2010/10/une2201.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie : Après le limogeage du maire de Moscou

Le limogeage avec fracas du maire de Moscou, Iouri Loujkov, par le président russe Medvedev n'a rien eu d'une surprise. Pourtant, c'est une grande première dans les relations du Kremlin avec les grands barons de son administration que sont les gouverneurs de région ainsi que les maires de la capitale et de Saint-Pétersbourg.

En cas de conflit avec eux, l'exécutif choisit d'habitude de composer, en évitant tout ce qui pourrait déstabiliser la région concernée, ou plutôt la bureaucratie qui en a fait son fief. Or, dans le cas présent, c'est tout le contraire qui s'est produit avec, circonstance aggravante, le fait que le personnage visé était à la tête de l'administration d'une ville de plus de dix millions d'habitants, capitale politique du pays et concentrant une grande partie de sa richesse.

En fait, Loujkov n'a pas laissé le choix au président qu'il avait publiquement défié. Sur fond de concurrence pour la présidentielle de 2012 entre Medvedev et celui qui l'a porté au Kremlin, son prédécesseur devenu Premier ministre, Poutine, Loujkov s'est cru autorisé à comparer les deux rivaux dans la presse, en présentant Medvedev comme falot face à un Poutine dynamique et compétent.

Medvedev, qui peine déjà à convaincre l'opinion qu'il a l'étoffe d'un chef, ne pouvait pas laisser passer l'affaire. Dans un premier temps, il a lancé une violente campagne télévisée contre Loujkov, qui règne depuis dix-huit ans sur Moscou, où il a notoirement instauré un système de mise en coupe réglée du « business ». Des reportages ont donc « découvert » que le maire de Moscou, surnommé « Monsieur 50 % » dans les années quatre-vingt-dix, est corrompu jusqu'à la moelle et que son couple est richissime, du fait que la société de BTP de son épouse - la femme la plus riche du pays, selon la revue Forbes -, truste les grands travaux dans la capitale, où boulevards périphériques, stades géants et gratte-ciel ont poussé comme champignons après la pluie.

Après ce pilonnage d'artillerie médiatique, Medvedev espérait que Loujkov, à qui il avait proposé la vice-présidence du Conseil de la Fédération (le Sénat russe), accepterait cette sortie « honorable ». Loujkov a-t-il présumé de ses forces, celle d'un clan bureaucratique tentaculaire qui tient la capitale, face à la faiblesse relative du président russe ? Espérait-il que son allié Poutine viendrait à sa rescousse ? En tout cas, il a refusé le poste proposé. Medvedev n'a alors eu, sous peine de perdre la face, d'autre choix que de le priver de la mairie (depuis 2004, les gouverneurs et les maires des deux métropoles russes ne sont plus élus par la population, mais nommés par le Kremlin).

Medvedev, qui a nommé maire par intérim l'adjoint de Loujkov, a apparemment choisi de limiter autant que faire se peut l'affrontement avec le clan Loujkov. Quant à ceux dont le nom est évoqué pour remplacer définitivement Loujkov, ils semblent proches de Poutine sinon de l'ancien maire.

Mais, malgré tout ce qu'a pu prétendre Poutine sur le rétablissement de l'autorité de l'État central face aux baronnies de la bureaucratie qu'il aurait réussi depuis 2000, les rapports de forces entre le centre et les régions restent toujours marqués par un équilibre fragile, et d'autant plus fragile que l'enjeu est énorme. Or les dirigeants russes considèrent que contrôler la capitale, directement ou via un clan allié, est indispensable pour arriver à la tête du pays et y rester. Et cela tant sur le plan politique qu'économique et financier, quand on sait que 80 % de tous les flux financiers de Russie transitent par Moscou, dont le budget, qui frôle les cinquante milliards de dollars, devra être contrôlé par celui qui voudra l'emporter en 2012.

Déjà, avec le départ forcé de Loujkov et donc l'affaiblissement de son clan, divers appétits se manifestent autour du gâteau moscovite dans l'attente de son éventuel repartage. Une partie de la presse russe y voit un facteur menaçant d'instabilité politique, alors qu'à dix-huit mois de l'élection présidentielle, les chefs de l'exécutif, le président et le Premier ministre, et leurs clans respectifs ont tiré les couteaux.

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