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Tunisie : Après les élections à l'Assemblée constituante Quel espoir pour la population ?
Les résultats des élections du 23 octobre en Tunisie ont été officiellement publiés le 14 novembre. Le parti arrivé largement en tête est le parti religieux Ennahda de Rached Ghannouchi, qui se revendique d'un islam « modéré » Il pèsera évidemment dans la composition du prochain gouvernement.
L'image « modérée » en question vient au demeurant d'être quelque peu mise à mal par les déclarations réactionnaires de sa tête de liste féminine dans le district de Tunis 2, la pharmacienne Souad Abderrahim. Dans une interview, elle a cru bon de déclarer que « les mères célibataires sont une infamie. Elles ne devraient pas aspirer à un cadre légal qui protège leurs droits. »
Avec plus de 41 % des voix, Ennahda obtient 89 sièges sur 217 à l'Assemblée constituante, suivi de deux partis dont les leaders étaient des politiciens connus de l'opposition à Ben Ali. Le CPR (Congrès pour la république), dirigé par l'ancien responsable de la Ligue des droits de l'homme et professeur de médecine Moncef Marzouki, obtient 14 % des voix et 29 sièges. La Pétition populaire du riche Tunisien de Londres Hechmi Haamdi, dans un premier temps invalidée en plusieurs endroits pour irrégularités, obtient 26 sièges. Ettakattol, ou Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL), dont le candidat Mustafa Ben Jaafar est issu du mouvement des Droits de l'homme et a été déjà ministre de la Santé dans l'un des gouvernements d'après Ben Ali, a obtenu près de 9 % des voix et 20 sièges. Le CPR et Ettakattol, classés dans une sorte de nébuleuse de la « gauche » tunisienne, ainsi que la Pétition populaire qui a fait le plein de ses voix dans les régions pauvres, notamment à Sidi Bouzid, devraient participer avec Ennahda au gouvernement transitoire censé durer jusqu'à fin 2012. De son côté, le PCOT (Parti communiste des ouvriers tunisiens) a obtenu trois élus.
Pour les premières élections depuis la chute du dictateur Ben Ali, sur un corps électoral estimé à 7 millions, 90 % des quatre millions d'électeurs inscrits se sont rendus aux urnes. Parmi tous les autres, beaucoup ne se sont vraisemblablement pas retrouvés dans les programmes réclamant tous « la démocratie, la justice », quand ce n'était pas « l'union nationale », des termes vagues qui ne contiennent aucun programme clair pour les travailleurs et les chômeurs du pays.
Il reste que Ennahda (Renaissance) a largement remporté les suffrages d'une grande partie de la population pauvre et rurale, mais également des régions urbaines, devançant nettement le CPR et Ettakattol. Inspiré des Frères musulmans d'Égypte, ce parti existe en Tunisie depuis les années 1970, certains de ses membres ayant à l'époque organisé attentats, attaques à la bombe et au vitriol. Peu après l'arrivée au pouvoir de Ben Ali, Ennahda a subi répression et persécutions, tandis que son leader se réfugiait à Londres. Parti d'opposition au régime connu de longue date et dans de nombreux districts du pays, Ennahda doit logiquement une grande part de son succès à cette situation. Et ce d'autant plus qu'au cours des années de dictature, en Tunisie comme en exil, il a formé un réseau de cadres et de militants présents dans tout le pays.
À cette couverture militante omniprésente, à son image d'opposition historique à Ben Ali, Ennahda ajoutait une démagogie semblant répondre aux préoccupations des pauvres, des chômeurs.
Enfin, parmi la population pauvre du sud et du centre du pays, et notamment à Sidi Bouzid, là même où le jeune Mohammed Bouazizi s'était immolé en décembre 2010, le troisième parti arrivé en tête est la Pétition populaire de Hechmi Haamdi, originaire de Sidi Bouzid et lui aussi peu avare de démagogie. L'invalidation d'une partie de ses listes a provoqué une flambée de colère parmi la population.
Les autres partis, qui sont au total 110, ont payé, bien plus que cette division, leur absence de préoccupation de s'adresser à la population la plus pauvre et de répondre à ses aspirations. Cette population, qui s'est battue pour imposer la fin de la dictature de Ben Ali, ne peut rien espérer du gouvernement qui sortira de ces élections. La lutte pour faire valoir ses exigences vitales ne fait que commencer et ce n'est que d'elle que pourra naître un espoir.