Egypte : L'armée dissout l'assemblée législative - entre dictature militaire et obscurantisme religieux20/06/20122012Journal/medias/journalnumero/images/2012/06/une2290.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Egypte : L'armée dissout l'assemblée législative - entre dictature militaire et obscurantisme religieux

Le 14 juin, la Cour constitutionnelle égyptienne a créé la surprise en dissolvant l'assemblée législative qui avait été élue en plusieurs étapes, entre novembre 2011 et janvier 2012, et au sein de laquelle les Frères musulmans avaient remporté 235 sièges sur 498. Le Conseil suprême des forces armées, le CSFA, a ensuite annoncé qu'il reprenait en main directement le pouvoir législatif, concentrant donc les principaux pouvoirs.

La conséquence immédiate va être que, quel que soit le résultat de l'élection présidentielle en principe officialisé le 21 juin, celui des deux candidats qui sera déclaré vainqueur -- Mohamed Morsi, le candidat de la confrérie ou Ahmad Chafiq, l'ancien Premier ministre de Moubarak, qui se sont aussitôt proclamés tous deux élus -- se trouvera sans guère de pouvoir, privé d'appui législatif. Et dans les deux cas, le CSFA restera seul arbitre en Egypte, comme c'est d'ailleurs le cas depuis plus d'un an, depuis le départ de Hosni Moubarak en février 2011.

Cette situation n'est donc pas vraiment nouvelle : depuis les manifestations de début 2011 contre la dictature égyptienne, la « transition démocratique » promise s'est rapidement révélée un leurre dissimulant, sans grand succès, le fait que le pouvoir demeurait aux mains des forces armées et des dix-neuf officiers du CSFA, le général Tantaoui en tête. L'essentiel pour les militaires était de continuer à contrôler l'appareil d'État, comme ils le font depuis 1952, ainsi qu'une grande partie de l'économie du pays. En se débarrassant du dictateur honni, en faisant à cette occasion acclamer l'armée « défenseur du peuple » face à Moubarak, les dirigeants de l'armée s'étaient donné le moyen d'assurer la continuité du pouvoir d'État.

À présent, entre l'armée et les Frères musulmans, on assiste à la suite d'un affrontement qui dure depuis des années de façon plus ou moins feutrée. Avant même la chute de Moubarak, la confrérie était devenue une sorte d'opposition tolérée, pour son rôle d'exutoire politique, mais surtout parce que ses membres, ses militants, implantés dans les quartiers les plus pauvres, fournissaient une aide sociale multiforme là où l'État et les municipalités abandonnaient le terrain. Ce rôle d'assistance qui leur permettait d'asseoir leur implantation en faisait un facteur de stabilité sociale face à une misère parfois explosive. Ce faisant, ils complétaient utilement la dictature exercée par l'armée et la police au profit de la bourgeoisie égyptienne.

Cependant, la situation créée par le départ de Moubarak a modifié l'équilibre entre les deux forces, permettant aux Frères musulmans d'occuper plus d'espace dans le système politique lui-même. Visiblement, l'armée n'a pas l'intention de le leur laisser. La décision du 14 juin est un épisode de plus de cet affrontement pour le pouvoir qui risque de continuer dans les mois qui viennent. Un affrontement dans lequel ni la prétendue « démocratie » conquise en février 2011 ni les intérêts de la population qui s'était mobilisée contre Moubarak n'entrent vraiment en ligne de compte.

Une des conséquences de cette situation est que l'un des partis les plus obscurantistes, le Parti de la liberté et de la justice constitué par les Frères musulmans, semble à même de se forger auprès de la population l'image de la principale opposition « démocratique » à l'état-major et au CSFA. Le parti islamiste pourrait bien utiliser cette image non seulement pour se renforcer, mais pour imposer à la société égyptienne un certain nombre de reculs, déjà bien amorcés si l'on se réfère à la situation des femmes.

Il apparaît sans doute de plus en plus clairement, au moins à une partie de la population, que le départ de Moubarak n'a pas été la « révolution » que beaucoup ont prétendu. Du point de vue des intérêts des travailleurs et de la population pauvre, de leurs aspirations à la liberté, à une vie meilleure, la véritable révolution reste entièrement à faire.

Mais il faudra pour cela un parti prêt à lutter jusqu'au bout pour les intérêts des exploités, aussi bien contre les tenants de la dictature militaire que contre l'obscurantisme des Frères musulmans.

Partager