- Accueil
- Lutte ouvrière n°2332
- L'affaire Cahuzac et les marchands d'illusions
Leur société
L'affaire Cahuzac et les marchands d'illusions
Cahuzac, prototype de ces ministres qui prêchent les sacrifices à la population, ayant fait de la lutte contre la fraude fiscale son affaire et se révélant fraudeur, tricheur et corrompu, cela fait évidemment du mal à la « République irréprochable ».
Ce n'est pas pire en réalité sous Hollande que sous ses prédécesseurs, mais la droite et à plus forte raison l'extrême droite dans l'opposition se gênent moins que la gauche pour dénoncer des pratiques qui leur sont communes. Et, surtout, la crise déclenchée au sommet de l'État s'ajoute à la déception que la politique de Hollande provoque dans l'électorat populaire.
Les travailleurs auraient pu en rester à faire des plaisanteries sur ce ministre, pilier du gouvernement, pris la main dans le pot de confiture. Mais, après dix mois de gouvernement socialiste, le rire leur reste dans la gorge, étranglés qu'ils sont par le chômage, les licenciements, la baisse du pouvoir d'achat, la flexibilité, la politique d'austérité.
Quel « choc de moralisation » ?
Voilà les hommes politiques du PS comme de l'opposition qui se succèdent à la télévision pour jouer la transparence, insister sur la modestie de leur logement ou l'âge canonique de leur automobile, annoncer un « choc de moralisation » avec de nouvelles lois et de nouvelles commissions, côté gouvernement, et réclamer la dissolution de l'Assemblée nationale ou au moins un remaniement ministériel, côté opposition. Et le Premier ministre de se faire traiter de « repris de justice » à l'Assemblée où les députés, d'ailleurs des deux bords, commencent à clamer qu'il ne faut pas exagérer sur la transparence !
Tout cela donne une image de déliquescence ! Malgré la virulence des joutes verbales entre les chefs des deux camps, on sent cependant leur profonde connivence et volonté commune que la crise n'aille pas trop loin.
En attendant, tout cela illustre à quel point la bourgeoisie a les hommes politiques qu'elle mérite dans ce monde capitaliste où l'argent est la vertu suprême.
Pendant les scandales, les affaires continuent. La politique antiouvrière aussi. Le jour même où la majorité et l'opposition s'étripaient, l'Assemblée votait le projet de loi de flexibilisation de l'emploi.
Personne ne peut écarter l'éventualité que la crise politique se transforme en crise institutionnelle. Mais la bourgeoisie en a vu d'autres et elle est bien placée en tant que corruptrice pour connaître la vénalité, l'irresponsabilité personnelle de ses hommes politiques. Elle fait avec.
Les communistes révolutionnaires n'ont pas à participer à ce concours d'hypocrisie. Ils n'ont pas à se joindre au choeur des tenants d'une « République irréprochable » ou d'une « démocratie propre ».
Qu'est-ce que cela changerait pour les exploités que les hommes politiques de la bourgeoisie soient propres, qu'ils défendent le grand patronat et le pouvoir de l'argent sans se servir au passage ? Cahuzac, en tant que ministre de l'austérité pure et dure, présenté comme un pilier du gouvernement, comme le plus efficace des ministres, était-il meilleur du point de vue des intérêts des travailleurs, que ce qu'il s'est révélé être ?
Les communistes n'ont certainement pas à revendiquer que l'État de la bourgeoisie soit plus propre, plus efficace. Ils combattent cet État avec, dans leurs perspectives, sa disparition.
Un autre numéro pour la République ?
La crise politique qui est en train de s'amorcer, la déliquescence aux sommets de l'État peuvent cependant entraîner des conséquences y compris pour la classe ouvrière.
Si le Front national renforce son influence à la faveur de cette crise, comme c'est vraisemblable, cela représente une menace grave pour la classe ouvrière. Malgré sa démagogie de « défenseur de la veuve et de l'orphelin » - à condition qu'ils soient français -, non seulement le FN gouvernera au profit de la bourgeoisie, comme les autres, comme les Sarkozy et Hollande, comme ce fameux « UMPS » qu'il dénonce, mais il représentera une variante plus autoritaire du pouvoir de la bourgeoisie avec comme objectif, non pas de composer avec les organisations réformistes de la classe ouvrière, mais de faire taire celle-ci.
Mais faire face à ce danger, cela ne se fait pas en prétendant vouloir nettoyer les écuries d'Augias de la démocratie bourgeoise !
C'est ce que prétend Mélenchon en appelant à une manifestation le 5 mai pour la « 6e République », pour « donner un coup de balai (afin de) purifier cette atmosphère politique absolument insupportable ». Il a déjà entraîné dans son sillage le PCF, quelques écologistes du genre d'Eva Joly. Peut-être en entraînera-t-il d'autres du côté de ceux qui se prétendent sur la gauche de la gauche, voire du côté de quelques dirigeants du Parti socialiste qui veulent prendre leurs distances avec Hollande et son bilan désastreux. Après tout, avant de devenir ministre, Montebourg a été un chaud partisan de la 6e République.
Comme si changer le numéro de la République allait changer l'appareil d'État, ces armadas de fonctionnaires qui assurent la permanence du pouvoir pendant que les ministres s'agitent sur le devant de la scène et servent de fusibles le cas échéant ! Comme si une éventuelle 6e République ne serait pas dans la lignée des autres qui ont, toutes, défendu la propriété privée et l'exploitation ! Comme si, en changeant de numéro, l'État cesserait d'être au service d'une minorité dont il défend la fortune, les privilèges et le pouvoir exclusif sur l'économie.
La classe ouvrière doit avoir sa politique
Alors, un coup de balai, pour quoi faire ? Changer une partie du personnel politique pour en mettre une autre à la place ? Manifestement, l'ambition de Mélenchon se limite à cela. Les communistes révolutionnaires n'ont aucune raison de lui apporter leur caution.
Ce n'est pas seulement en raison du passé de Mélenchon, encore que le passé éclaire le présent. Son passé, ce n'est pas seulement sa fonction ministérielle dans le gouvernement Jospin, mais c'est aussi le fait que ce Hollande, dont il dit pis que pendre aujourd'hui, il a contribué à le faire élire, et il s'en est gargarisé. Le PCF qui tout en appelant à la manifestation du 5 mai n'a pas les mêmes raisons que Mélenchon de se donner des allures de tribun, ne serait-ce que pour des raisons liées aux élections municipales, exprime d'ailleurs clairement, par la bouche de Pierre Laurent, l'objectif de la manifestation : « Nous devons construire les bases d'un nouveau contrat politique majoritaire qui unisse tous ceux qui ont voté pour le changement au printemps dernier. » Et voilà comment réchauffer le plat qu'on nous a déjà servi en 2012 !
Nous ne pouvons pas prévoir si la crise politique actuelle se résorbera avec la complicité de protagonistes venant des deux camps, droite et gauche, au nom de de la « défense des valeurs républicaines », ou si, au contraire, elle débouchera sur une crise institutionnelle. Mais, pour que la classe ouvrière ne soit pas à la remorque des différentes forces de la bourgeoisie, il faut qu'elle se manifeste sur le terrain politique.
La classe ouvrière ne se sent pas encore en position de le faire même pour défendre ses intérêts matériels vitaux ? Sans doute. Mais les choses peuvent changer très vite et on ne peut pas exclure que les turpitudes aux sommets de l'État s'ajoutent à tout le reste pour provoquer un sursaut dans les classes exploitées, victimes de la classe capitaliste et de ses serviteurs politiques de tout bord.
Il se peut que l'histoire à venir exige de la classe ouvrière, non seulement qu'elle reprenne l'initiative à la bourgeoisie sur le terrain de ses revendications économiques, mais aussi, surtout si l'extrême droite profite des circonstances pour renforcer ses positions, sur le terrain politique. Mais c'est justement dans les périodes de crise que les travailleurs doivent être conscients de leurs intérêts politiques et ne pas croire les marchands d'illusions. Ceux qui appellent à manifester le 5 mai le sont tous, quelles que soient leurs motivations disparates.
Les communistes révolutionnaires n'ont aucun moyen de provoquer le sursaut nécessaire du camp des exploités. Mais, aussi peu nombreux qu'ils soient, ils peuvent et doivent dire la vérité aux travailleurs. Ils peuvent appeler un chat un chat, et un homme politique, même démagogue, mais qui défend l'ordre capitaliste et l'État bourgeois, un serviteur politique de la bourgeoisie dont il n'y a rien de bon à attendre.