Turquie : Erdogan a repris la place mais n'a pas vaincu la contestation12/06/20132013Journal/medias/journalnumero/images/2013/06/une2341.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Turquie : Erdogan a repris la place mais n'a pas vaincu la contestation

Mardi 11 juin au matin, les forces anti-émeutes de la police turque ont assiégé, puis repris position sur la place Taksim d'Istanbul qu'elles avaient évacuée depuis dix jours, depuis que le gouvernement Erdogan avait dû renoncer à briser la résistance de milliers de personnes décidées à ne pas céder devant la violence policière. Elles ont repoussé les manifestants dans le Gezi Park, cet îlot de verdure au cœur de la ville qui a été le motif initial de la contestation, avant de tenter de les en déloger. Mais la bataille est peut-être loin d'être finie.

La contre-offensive du gouvernement et de sa police s'annonçait depuis plusieurs jours. Rentré de voyage le 6 juin, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan avait mis fin aux hésitations manifestées en son absence par son gouvernement, passant d'emblée à l'attaque, voire à la provocation. Au fil de ses discours, les manifestants ont été qualifiés de marginaux contestant un gouvernement démocratiquement élu, d'extrémistes manipulés par l'étranger, d'agents d'un complot destiné à déstabiliser la Turquie, aux ordres de puissances financières cherchant à déstabiliser la Bourse et à mettre en crise l'économie, ou bien tout simplement qualifiés de « terroristes ». Et puis, a même ajouté Erdogan, ces contestataires seraient entrés dans les mosquées sans ôter leurs chaussures, des bouteilles de bière à la main et voulant forcer des femmes à ôter leur voile ; une affabulation évidemment destinée à frapper le type d'auditoire auquel il s'adresse.

Erdogan voudrait montrer sa capacité à faire rentrer les choses dans l'ordre et à mettre fin à un mouvement de contestation que sa propre attitude et ses provocations ont contribué à étendre. Parties de l'opposition de quelques centaines de personnes à l'abattage des arbres du Gezi Park en vue de la construction d'un centre commercial, les manifestations avaient gagné des milliers de personnes indignées par la violence policière, forçant la police à décider d'évacuer la place. Les manifestations de solidarité avaient alors gagné d'autres quartiers d'Istanbul, puis de grandes villes comme Ankara et Izmir et de nombreuses villes petites et moyennes, devenant un mouvement politique à l'échelle du pays et réclamant la démission du gouvernement.

Erdogan espère maintenant que le mouvement s'essouffle, que l'opinion se lasse et que les partisans du retour à l'ordre deviennent de plus en plus nombreux et le soutiennent. Mais quelle est l'ampleur du mouvement ? Si les informations sont nombreuses sur ce qui se passe Place Taksim, où les journalistes du monde entier se rendent pour faire leurs reportages, il est bien plus difficile de savoir ce qui se passe dans les profondeurs du pays, ou même simplement dans d'autres quartiers d'Istanbul.

Le mouvement se réduit-il maintenant aux opposants politiques à Erdogan, c'est-à-dire les kémalistes du parti social-démocrate CHP ou d'autres partis qui cherchent évidemment à se montrer aux caméras, ou bien a-t-il gagné des fractions plus larges de la population ? L'intervention policière va-t-elle décourager les manifestants ou au contraire provoquer une réaction plus large ? C'est ce que l'on verra dans les prochains jours. En tout cas, le 11 juin, au soir de l'intervention, des manifestations avaient lieu dans différents quartiers d'Istanbul et des cortèges tentaient de gagner la place Taksim. Dans d'autres villes, notamment Ankara, les heurts avec la police continuaient de plus belle. Si la place Taksim a pu être reprise par la police, le mouvement de contestation est certainement loin d'être vaincu.

Erdogan, dont le pouvoir a été un moment déstabilisé, cherche à faire peur, à regrouper derrière lui l'opinion réactionnaire et les partisans de l'ordre à tout prix. En même temps, son coup de force vise à faire le silence dans les rangs de son propre parti, l'AKP. Peut-être est-il en train de gagner l'épreuve de force contre les manifestants et de faire refluer le mouvement de contestation. Mais, même dans ce cas, il n'est pas dit qu'il sauve pour longtemps sa place à la tête de l'État turc. Son autorité est entamée au sein de l'AKP et y compris auprès de la bourgeoisie turque, qui pourrait maintenant penser à remplacer ce dirigeant usé.

Mais le plus important, au-delà du sort personnel d'Erdogan, est que ce mouvement a montré que l'on pouvait contester le pouvoir dans la rue. Il aura secoué fortement l'opinion, et en particulier contribué à éveiller politiquement toute une couche de la jeunesse. C'est peut-être là la conséquence la plus importante du mouvement né autour de la question du sort des arbres du Gezi Park.

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