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- Lutte ouvrière n°2361
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Il y a 25 ans, Algérie, octobre 1988 : Grèves ouvrières et manifestations de la jeunesse ébranlaient le régime
La dernière semaine de septembre 1988 vit les 9 000 ouvriers de la Société nationale de véhicules industriels, SNVI, de la zone industrielle de Rouiba, située à 30 kilomètres d'Alger, démarrer une grève totale. Elle gagna toute cette immense zone industrielle, avant de s'étendre à d'autres usines du pays. La police intervint et les lycéens de la ville voisine d'El Harrach se mirent en grève. La grève gagna ensuite les postes d'Alger.
Grèves et émeutes dans tout le pays
Une rumeur circulait alors sur le déclenchement possible d'une grève générale le 5 octobre. Mais, dès le 3 octobre, de jeunes lycéens appelèrent à une grève de soutien et descendirent dans les rues d'Alger. Ce fut le début d'une émeute qui dura cinq jours. Des centaines de jeunes, lycéens, étudiants, jeunes sans emploi des quartiers pauvres, pour certains fils de grévistes de l'usine de Rouiba, se regroupèrent dans le centre. Ils s'en prirent aux sièges du FLN, aux commissariats, aux magasins, aux grands hôtels, à tout ce qui représentait le pouvoir et l'opulence d'une minorité enrichie grâce aux revenus du pétrole, au marché noir et à la corruption. Les émeutes se généralisèrent aux grandes villes du pays. La réponse du pouvoir fut une répression violente. L'armée tira sur les jeunes, parfois très jeunes. Il y eut au moins 500 morts, mille d'après certains journaux, sans compter les milliers d'arrestations suivies de tortures.
Les raisons du mécontentement étaient partout les mêmes : le chômage, les salaires trop bas, l'approvisionnement en denrées alimentaires de plus en plus difficile et les prix de plus en plus élevés. Le pays connaissait une inflation de près de 100 % par an, et la plupart des salaires n'avaient pas augmenté depuis des années. Il y avait aussi le ressentiment contre toute la caste bureaucratique de l'État, formée des cadres du FLN, le parti unique. Celui-ci prônait depuis des années les sacrifices aux classes populaires, mais s'accordait tous les privilèges. Il y avait la colère contre un régime de dictature qui, en fait, ne tolérait aucune opposition depuis vingt-six ans.
De la libéralisation du régime à la montée du FIS
La répression brutale de l'armée mit fin aux émeutes, mais les grèves, elles, continuèrent. La crise sociale était profonde. La classe ouvrière était devenue de plus en plus nombreuse : les ouvriers d'industrie, au nombre de 110 000 en 1962, étaient un million vingt-six ans plus tard. Elle montrait sa force et se faisait craindre du pouvoir. Ces grèves allaient marquer la vie politique tout au long de l'hiver et du printemps 1988-1989. Des grèves de toutes durées se déclenchaient pour tout motif, pour les salaires ou contre les comportements arbitraires de chefs ou de directeurs, ou même pour changer des équipes syndicales nommées du temps du parti unique et exiger l'organisation d'élections professionnelles et syndicales libres, ou encore pour que le salaire soit versé – et pas avec deux ou trois mois de retard. Si les travailleurs remportaient des succès chacun dans son entreprise, faisant reculer chacun son patron, la combativité, elle, était bien générale.
La crise sociale prenait un tour politique et le régime sentit qu'il fallait lâcher du lest. Il dit vouloir s'orienter vers une démocratisation du régime, avec une nouvelle constitution, la séparation de l'armée et du FLN, la légalisation d'autres partis. Deux ans plus tard, de premières élections allaient être organisées.
Il s'agissait d'un recul important du pouvoir, d'un tournant vers une certaine libéralisation. Mais la politique de privatisation et de réduction des budgets des services publics, les attaques contre le niveau de vie de la population, allaient continuer. La crise sociale était toujours là, mais dans un contexte où des partis politiques pouvaient désormais apparaître au grand jour. Dans les années qui suivirent, ce furent des forces politiques réactionnaires, celles des islamistes du FIS (Front islamique du salut) d'abord, qui purent tirer parti de la situation. En 1994, au moment où le FIS allait gagner les élections, l'armée décida de l'en empêcher en « arrêtant le processus électoral ». L'Algérie allait alors être plongée, durant des années, dans une véritable guerre civile. Le peuple algérien fut pris entre deux pressions : la pression réactionnaire des intégristes d'un côté, celle de l'armée de l'autre.
Les événements algériens de 1988 et leurs suites font penser à ce qui allait se produire plus de vingt ans plus tard dans d'autres pays arabes. En 2011, en particulier en Égypte, le départ d'un dictateur allait être suivi d'un simulacre de transition démocratique profitant surtout aux courants intégristes, comme les Frères musulmans, avant que l'armée ne reprenne la main.
L'Algérie a ainsi connu une sorte de « printemps arabe » avant la lettre, avec au fond des résultats comparables. Si la crise a été ouverte par les luttes de la classe ouvrière sur ses objectifs propres, il ne se trouva aucun parti en son sein pour proposer aux travailleurs et aux masses pauvres des perspectives politiques de transformation radicale de la société. Ce furent des forces politiques réactionnaires, celles des islamistes, qui tirèrent parti de la situation, en se présentant comme le seul pôle d'opposition radicale. Le peuple algérien, comme plus tard le peuple égyptien, se retrouva coincé entre les menaces de deux forces concurrentes, mais visant tout autant au maintien de l'ordre bourgeois et impérialiste, celle de l'armée et celle des intégristes islamistes.
La classe ouvrière algérienne représente toujours l'espoir, à condition qu'elle trouve en son sein des militants conscients capables de défendre une perspective révolutionnaire.