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- Lutte ouvrière n°2365
- Il y a 30 ans, 25 octobre-2 novembre 1983, le débarquement américain à Grenade. D'une intervention armée à l'autre
Dans le monde
Il y a 30 ans, 25 octobre-2 novembre 1983, le débarquement américain à Grenade. D'une intervention armée à l'autre
Comme chaque fois qu'une grande puissance s'en prend aux aspirations d'un peuple qui, pour vivre mieux, cherche à rompre avec l'emprise impérialiste, les États-Unis, présidés alors par Reagan, trouvèrent des prétextes. Ils expliquèrent que les résidents américains à Grenade étaient en danger alors que deux jours avant, ils disaient le contraire. Ils prétendirent que la construction en cours d'un aéroport destiné surtout au tourisme allait transformer l'île en une base russo-cubaine hostile. Certes, l'argent venait de l'URSS et les ouvriers étaient cubains, mais l'entrepreneur était britannique ! Pour Washington, il s'agissait de convaincre que le gouvernement d'une île de moins de 350 km2 et de 110 000 habitants pouvait menacer les États-Unis. Mais qui pouvait le croire ?
En réalité, les États-Unis ne voulaient pas qu'après Cuba et le Nicaragua, un troisième État, si petit soit-il, desserre un peu l'étau de l'impérialisme américain dans ce qu'il considère comme son arrière-cour.
Le mouvement de Maurice Bishop
Depuis 1951, l'île était sous l'emprise d'Eric Gairy, un dirigeant syndical devenu un politicien corrompu et fortuné. Quand la Grande-Bretagne accorda en 1974 l'indépendance à l'île dans le cadre du Commonwealth, elle céda le pouvoir à Gairy qui appuyait sa dictature sur la « mangouste », une police imitée des sinistres « tontons macoutes » de Duvalier, le dictateur haïtien de l'époque.
Mais le 13 mars 1979, pendant que Gairy était à l'étranger, une douzaine d'hommes conduits par Maurice Bishop, un avocat à la tête d'un mouvement nationaliste radical, s'étaient emparés de la seule caserne de l'île et avaient mis fin à une dictature si honnie de la population que la police, l'armée et le corps diplomatique s'étaient aussitôt ralliés à Bishop.
Le nouveau « gouvernement révolutionnaire du peuple » lança une campagne d'alphabétisation et d'éducation. Pour la santé et l'hygiène, il reçut l'aide des médecins cubains. Mais, dans un pays où 1 % des grands propriétaires détenaient plus de la moitié des terres cultivables, le nouveau régime se contenta, pour toute réforme, de recenser des terres en friche et de demander aux propriétaires de mettre en vente quelques lopins. Et Bishop s'opposa aux occupations de terres organisées par des paysans en lutte.
Le nouveau régime, modéré, cherchait partout de l'aide économique et n'en reçut que de Cuba et de l'URSS, car les États-Unis et leurs alliés européens refusaient la leur. Peu avant sa chute, Bishop s'était encore rendu à Washington pour tenter de renouer des liens avec les États-Unis, sans succès.
Bishop prônait la « démocratie directe ». La population était consultée au cours de réunions publiques, mais les dirigeants nationalistes prenaient seuls les décisions. Populaire dans l'île, mais né hors du contrôle de la population et gouvernant sans elle, le régime était fragile. Des rivalités au sein du groupe dirigeant allaient le faire capoter. Écarté du pouvoir par un rival, Bishop fut fusillé par l'armée le 13 octobre. L'affaiblissement du pouvoir rendait possible l'expédition des marines qui débarquèrent trois fois plus de troupes que le gouvernement de la Grenade ne pouvait en réunir. L'intervention obtint un succès rapide.
La volonté d'intervention américaine
La Grenade fut ensuite administrée par les forces d'occupation pendant quelques jours. Puis elles transmirent le pouvoir à un gouvernement provisoire composé de politiciens adversaires du mouvement de Bishop, tout en laissant 250 soldats américains pour assurer la police.
En décembre 1984, le Nouveau Parti National remporta les élections législatives et son dirigeant, un Premier ministre des années soixante, Herbert Blaize, concurrent malheureux d'Eric Gairy et pas moins autoritaire que lui, reprit la tête du gouvernement. Le parti de Bishop, ou ce qu'il en restait, n'obtint que 5 % des voix.
En intervenant militairement contre un adversaire qu'ils étaient sûrs de vaincre, les dirigeants américains entendaient montrer à tous les peuples d'Amérique latine qu'il ne leur était pas permis de chercher une voie indépendante, même dans le respect de la propriété capitaliste. Mais ils voulaient aussi montrer que l'opposition de l'opinion américaine aux interventions extérieures, engendrée par l'échec du Viêt-nam, ne les arrêterait plus.
Le 23 octobre, un attentat à Beyrouth avait entraîné la mort de 250 soldats américains et l'opinion américaine souhaitait le départ des États-Unis du Liban. En intervenant peu après à Grenade, les États-Unis signifiaient aussi à leur propre peuple qu'ils entendaient continuer à intervenir sur l'arène mondiale quand leurs intérêts seraient en jeu.
« La victoire de Reagan dans cette île des Caraïbes, c'est aussi et surtout une victoire sur le peuple américain amené à accepter de nouvelles expéditions coloniales aujourd'hui, premier pas vers de nouvelles aventures militaires encore plus importantes demain », avait écrit Lutte Ouvrière à l'époque. On a pu le vérifier, depuis, en Afghanistan ou en Irak.