- Accueil
- Lutte ouvrière n°2368
- Haïti : Grèves et manifestations ouvrières pour exiger un salaire minimum
Dans le monde
Haïti : Grèves et manifestations ouvrières pour exiger un salaire minimum
Pendant trois jours, les 10, 11 et 12 décembre, des milliers de travailleurs de la zone industrielle de Port-au-Prince ont manifesté, scandant des slogans comme : « Les esclaves sont révoltés contre les 225 gourdes ! », « Nous ne pouvons pas vivre avec ce salaire de misère », « Nous voulons 500 gourdes [10 euros] comme nouveau salaire minimum », « Nous exigeons de meilleures conditions de travail ! », « Nous en avons ras-le-bol ! ».
Cette mobilisation, qui a regroupé entre 15 et 20 000 travailleurs, fait suite à la proposition du Conseil supérieur des salaires d'ajuster le salaire minimum de 200 à 225 gourdes par jour, alors que la loi sur le salaire minimum de 2009 prévoyait la revalorisation du salaire minimum à 300 gourdes. En clair, cet organisme, gagné totalement à la cause du patronat malgré la présence en son sein de représentants de syndicats de travailleurs, a révisé le salaire minimum à la baisse en le proposant à 225 gourdes.
La classe ouvrière, choquée de l'indécente proposition, a brusquement exprimé sa révolte en arrêtant la production dans la quasi-totalité des entreprises de sous-traitance de la zone industrielle pour se rendre dès le premier jour de la mobilisation devant le Parlement et exiger des deux Chambres leur soutien pour l'ajustement du salaire à 500 gourdes.
La marée humaine, composée majoritairement de femmes, a été applaudie pendant le parcours par des riverains des quartiers populaires. La mobilisation, par son importance numérique et sa durée, a fait la une de la presse parlée, écrite et télévisée.
Les présidents des deux Chambres ont accueilli la manifestation du 10 décembre. Le président du Sénat a dû quitter momentanément son bureau climatisé pour prendre la parole au milieu de la foule et appuyer la revendication des 500 gourdes. Le président de la Chambre des députés a annoncé illico la formation d'une commission de haut niveau chargée de se pencher sur la situation de ces milliers d'ouvrières et d'ouvriers.
Le ministre des Affaires sociales et du Travail, pour tenter d'éteindre le feu, a convoqué en urgence les délégués des centrales syndicales concernées. Mais ces bureaucrates syndicaux n'ont aucune prise sur les événements. Le Conseil supérieur des salaires est donc dans la tourmente et multiplie des déclarations abracadabrantes sous la pression de la rue.
La mobilisation préoccupe la banque centrale d'Haïti. « Ce que nous sommes en train de regarder là, au niveau du salaire minimum, nous inquiète », a déclaré le gouverneur de la Banque centrale, au cours du 24e conseil du gouvernement qui s'est tenu au siège du bureau du premier ministre Laurent Salvador Lamothe, dans la soirée du mercredi 11 décembre 2013. « Nous n'aimerions pas que cela nous fasse perdre des investissements », a ajouté ce serviteur zélé de la bourgeoisie.
Dans le Nouvelliste du 13 décembre 2013, le Forum économique du secteur privé exprime son inquiétude : « Les événements des 10 et 11 décembre derniers dans la zone du Parc industriel de Port-au-Prince sont extrêmement préoccupants et doivent interpeller tous les secteurs de la société haïtienne. Des individus se réclamant du secteur syndical prennent, depuis deux jours, plus de 30.000 familles haïtiennes en otage (...) ». Voilà que tous ces soutiens de la bourgeoisie et la bourgeoisie elle-même se rendent compte brusquement que les travailleurs sont indispensables au fonctionnement de leurs entreprises, que tout s'arrête quand les ouvriers sont en grève. Et pourquoi ceux et celles qui constituent le moteur de la production, qui génèrent des millions et de millions de profits dans l'exécution de ces commandes ne peuvent-ils pas avoir le minimum vital, c'est-à-dire les 500 gourdes par jour ?
Le premier jour, apeurés, certains patrons comme Andy Apaid de GMC et Charles Henry Baker de One World Apparel, les deux piliers de l'avant-garde du patronat haïtien, se sont empressés de faire partir les ouvriers de leurs entreprises avant l'arrivée des manifestants. La peur a changé de camp pendant cette mobilisation.
Dans la rue et dans les usines, les travailleurs doivent continuer à se faire craindre car c'est par la crainte qu'ils inspirent aux patrons qu'ils finiront par faire reculer ces sangsues et obtenir du coup satisfaction.