Brésil : le règne de la corruption11/03/20152015Journal/medias/journalnumero/images/2015/03/2432.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Brésil : le règne de la corruption

« Avec courage et jusqu’à la souffrance, le Brésil a appris à pratiquer la justice sociale pour les plus pauvres, ainsi qu’à appliquer durement la main de la justice contre les corrompus. » Dimanche 8 mars, en entendant cette phrase de Dilma Rousseff, nombre de Brésiliens ont dû se demander si leur présidente vivait vraiment au Brésil, pays champion des inégalités sociales et de la corruption politique.

Dilma Rousseff intervenait à propos du scandale Petrobras, qui secoue depuis des mois le monde politique, et en particulier son gouvernement. Dans cette affaire, quatorze sénateurs et vingt-quatre députés sont officiellement mis en cause. Ils appartiennent à quatre partis, dont les trois plus importants du gouvernement, notamment le PT, parti de la présidente, et le principal parti de l’opposition de droite. On trouve parmi eux, les actuels présidents de la Chambre des députés et du Sénat, un ancien président de la République ayant démissionné pour corruption, deux ex-Premiers ministres, plusieurs ex-ministres, des ex-gouverneurs, etc. Quant à la commission parlementaire censée enquêter sur l’affaire, la moitié de ses membres, dont son président, ont bénéficié des largesses des entreprises corruptrices. C’est tout le milieu politique qui se trouve accusé, gauche et droite confondues.

Le système utilisé pour la corruption est simple : des entreprises alimentent les caisses des partis politiques, qui leur retournent la politesse par le biais de marchés publics surfacturés. C’est déjà ce qui avait servi dans l’affaire du Mensalao (la « grosse mensualité » versée à des dizaines de parlementaires pour qu’ils votent les projets du gouvernement), sous la présidence de Lula, dont le procès a duré huit ans. Au terme de huit ans de procédure, les politiciens condamnés ont tous sans exception bénéficié du régime ouvert, où l’on ne rejoint la prison que la nuit.

Il s’agit cette fois de milliards d’euros. Et le rôle central est joué dans l’affaire par Petrobras, la compagnie pétrolière nationale, première entreprise brésilienne et un des poids lourds de l’industrie mondiale, qui traite avec toutes les grandes entreprises du pays, et au-delà. Les dirigeants de Petrobras, nommés par le pouvoir politique, passaient avec les entreprises, de travaux publics en particulier, des contrats systématiquement surfacturés, de façon à pouvoir verser des pots-de-vin aux partis. Le secteur public, c’est-à-dire en fin de compte le contribuable, payait pour les campagnes et la grande vie des politiciens ainsi que pour les profits des entreprises.

Pas facile aujourd’hui pour la présidente d’imposer aux travailleurs austérité et réformes rétrogrades, en s’appuyant sur des partis déconsidérés par la corruption ! Il est possible qu’elle soit elle-même atteinte par le scandale, car elle a été ministre de l’Énergie et a siégé au conseil d’administration de Petrobras : une manifestation est appelée le 15 mars pour demander sa destitution. De plus, au moment où le Brésil subit les atteintes de la crise économique mondiale, il est question d’exclure des marchés publics une trentaine d’entreprises corruptrices, ce qui mettrait en danger un demi-million de salariés et pourrait bloquer des chantiers tels que le barrage hydroélectrique géant de Belo Monte en Amazonie, des aéroports, ou le stade du Corinthians, où s’est déroulée l’ouverture de la Coupe du monde l’an passé.

Dilma Rousseff, qui a commencé en janvier son second mandat présidentiel, promet une enquête « large, libre et rigoureuse ». Elle y est bien obligée, quand le scandale est aussi large et aussi public. Mais qu’elle ne parle pas de justice sociale pour les plus pauvres, alors qu’ils subissent en ce moment même les pénuries d’eau, les coupures de courant, les hausses de tarifs, la dégradation de la santé et de l’éducation, le report de l’âge de la retraite. Et qu’elle ne parle pas non plus de justice dure pour les corrompus, alors que c’est eux qui siègent à ses côtés, impunis depuis des décennies, dans les ministères et au Parlement.

Partager