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Russie-Ukraine : pendant le conflit, les « affaires » continuent
Le conflit a repris en intensité entre la Russie et l’Ukraine. Moscou accuse Kiev d’avoir envoyé des « saboteurs-terroristes » perpétrer des attentats en Crimée, revenue dans l’orbite russe en 2014 après un référendum piloté par la Russie, au grand dam des dirigeants pro-occidentaux ukrainiens. Ces derniers accusent en retour le Kremlin d’avoir rompu la trêve, précaire, dans ses provinces de Donetsk et Lougansk, devenues des républiques indépendantistes prorusses.
Le 19 août, le président Poutine a tenu un conseil de sécurité en Crimée et y a annoncé des manœuvres militaires. Son homologue ukrainien, Porochenko, a, lui, mis son armée en état d’alerte car on « ne [peut] exclure une invasion à grande échelle ». Tandis que le Kremlin et Kiev roulent ainsi les épaules et concentrent leurs blindés sur la ligne de démarcation, cette escalade se traduit en morts (près de 10 000 depuis 2014) et en destructions sans fin.
Bien sûr, cette surenchère comporte aussi une dose de bluff que chacun destine à sa propre opinion publique.
Poutine, auquel la guerre en Syrie a permis de se hausser au rang de partenaire militaire des États-Unis, s’affirme comme chef d’une Russie redevenue une grande puissance dans ce qu’elle considère comme sa zone d’influence : l’ex-Union soviétique. En outre, ce bras-de-fer avec Kiev vient à point nommé, à la veille d’élections législatives que le pouvoir russe aborde avec une cote de popularité en baisse.
En effet, les mesures occidentales de rétorsion après l’annexion de la Crimée, la chute des cours des hydrocarbures, principale source de devises de l’État russe, ont fait reculer le niveau de vie de la population. En pointant du doigt l’Ukraine, le Kremlin s’efforce aussi de répondre au désenchantement des habitants de Crimée, confrontés aux fermetures d’entreprises, à une fourniture d’énergie chaotique, à un ravitaillement dépendant des liaisons maritimes avec la Russie : un présent bien éloigné de l’avenir souriant que le Kremlin disait rimer avec le rattachement à la Russie, en 2014…
De la même façon, les dirigeants ukrainiens, qui accusent périodiquement le Kremlin d’agression, espèrent que leur population en oubliera l’effondrement de son pouvoir d’achat et la corruption qui atteint des niveaux inouïs. Mi-août, Porochenko fanfaronnait : « Nous sommes prêts [à] une escalade du conflit. » La veille, on avait appris que le mur de Iatseniouk, du nom du Premier ministre qui en avait ordonné la construction pour protéger l’Ukraine, n’existait que sur le papier. Les autorités avaient débloqué les fonds pour l’édifier, mais l’argent a disparu…
Le parquet de Tchernigov, au nord du pays, a ouvert une procédure pour abus de fonds publics contre les responsables de l’administration qui ont empoché l’argent, sans rien construire. Il faut préciser que, dans cette région, et cela vaut pour les régions voisines de Soumy et Kharkov où ledit mur n’existe pas plus, le salaire moyen mensuel dépasse à peine 100 euros, celui des fonctionnaires compris. Officiellement, en tout cas, car ce n’est pas avec si peu que certains d’entre eux se font construire des villas somptueuses, achètent des appartements à Londres ou New York et mènent grand train sur la Côte d’Azur…
Cette affaire venait d’éclater lorsqu’une manifestation a eu lieu à Kiev, devant le Parquet général, pour dénoncer ces menées contre le très officiel Bureau anticorruption ukrainien (NABU). Créé en 2015, dans la foulée du mouvement qui a renversé le président Ianoukovitch dont le régime corrompu focalisait la haine de la population, cet organisme vient d’annoncer que deux de ses membres ont été séquestrés et torturés avec la bénédiction du Parquet.
Le NABU, qui se plaint depuis le début de voir les autorités saboter son activité en s’appuyant sur la SBU, héritière du sinistre KGB, en fait-il trop ? En tout cas, il ne s’est pas fait des amis en haut lieu en élucidant coup sur coup des affaires impliquant des gens du pouvoir, dont un juge proche du président, pris en flagrant délit alors qu’il empochait un pot-de-vin de 150 000 dollars !
Depuis la « révolution du Maïdan », la corruption de l’appareil étatique a pris encore plus d’ampleur. Quant à ceux qui en bénéficient, les mêmes qu’avant ou pas, ils ont maintenant le bon goût de se dire pro-occidentaux mais restent si rapaces que cela gêne certains grands groupes américains et européens. Le Fonds monétaire international a donc suspendu son aide au pouvoir ukrainien, tant qu’il ne mènera pas vraiment, dit le FMI, la lutte contre la corruption.
La mission tient de l’impossible, les bureaucrates-affairistes locaux, comme leurs homologues russes, n’envisageant guère d’autre façon de s’enrichir qu’aux dépens de leur population. Car c’est à elle qu’ils font la guerre, même quand ils ne font pas parler la poudre sur le front.