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Dans le monde
Birmanie : Aung San Suu Kyi aux côtés des militaires
Depuis plusieurs semaines, les persécutions contre les Rohingya, une minorité de religion musulmane concentrée dans l’ouest de la Birmanie, ont pris une ampleur catastrophique. Plus du tiers d’entre eux, près de 400 000, ont déjà franchi la frontière voisine avec le Bangladesh, pour fuir les exactions des militaires.
Prenant prétexte d’attaques menées le 25 août contre des commissariats de la région par une organisation nationaliste locale, l’armée birmane a lancé une vaste opération de terreur contre les populations rohingya. Occupation militaire, incendies systématiques des villages, viols, assassinats publics, il s’agit bien d’une forme de nettoyage ethnique, comme ont fini par le dénoncer même les représentants de l’ONU, après que les témoignages des réfugiés épuisés et meurtris ont fait le tour du monde.
Devant la montée de l’indignation contre l’ampleur des exactions, le gouvernement civil birman, qui sert de façade démocratique depuis la fin de la junte militaire, se devait de prendre position. Etait particulièrement attendu le discours de celle qui fait aujourd’hui office de chef du gouvernement, Aung San Suu Kyi, détentrice du prix Nobel de la paix obtenu en 1991, du temps où elle était assignée à résidence par les militaires avec qui elle est aujourd’hui associée au pouvoir.
Prononcé dans la capitale Naypyidaw devant un parterre de journalistes et d’ambassadeurs, son discours télévisé est finalement resté à quelques nuances près dans la ligne de ses précédentes déclarations où elle dénonçait « un iceberg de désinformation » à propos des persécutions contre les Rohingya. Sans prendre parti ouvertement pour les militaires, elle s’est contentée de s’inquiéter de l’aggravation de la situation. Faisant mine de tendre la main aux populations ayant fui au Bangladesh, elle a conditionné leur éventuel retour à une vérification systématique de leur citoyenneté, alors que les Rohingya ont perdu la nationalité birmane depuis 1982. À propos de l’offensive militaire, elle a cherché à la minimiser par une formule qui n’a fait qu’en confirmer l’ampleur, affirmant que 50 % des villages de la région étaient intacts. Désolée des dommages collatéraux malgré des consignes strictes qui auraient été données aux soldats pour épargner les populations civiles, elle a justifié au passage l’offensive militaire, parlant d’une opération antiterroriste. Rejetant ainsi la responsabilité sur les Rohingya eux-mêmes, elle a mis sur le même plan le sort des populations bouddhistes de la région contraintes elles aussi à fuir. Ces propos sont particulièrement choquants alors qu’affluent les témoignages de la participation active de milices intégristes bouddhistes aux exactions orchestrées par l’armée.
Cette déclaration suffira peut-être aux dirigeants de l’ONU, ou encore à ceux des anciennes puissances coloniales comme le ministre des Affaires étrangères britannique, Boris Johnson, ou son homologue français, Le Drian. Après avoir anéanti les possibilités de développement de la région et parfois y avoir fait régner la même terreur pendant des décennies, après avoir ensuite collaboré avec la junte militaire, ils ont fait mine de s’inquiéter ces derniers jours du sort des Rohingya. Les paroles d’Aung San Suu Kyi permettront sans doute aux grandes compagnies internationales comme Total de se servir de ces formules creuses comme paravent pour continuer à piller les richesses minières de la région, en collaboration avec le régime en place. Elles démontrent surtout une nouvelle fois que les populations, rohingya ou autres, n’ont rien à attendre de ce type de dirigeants, dont le crédit acquis au nom de la lutte pour les droits de l’homme ne sert en fin de compte qu’à cautionner les pires exactions des militaires.