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Leur société
Ventes d’armes : le Bureau des légendes et l’État des menteurs
La prochaine saison du Bureau des légendes, une série de Canal + sur les services secrets français, abordera-t-elle la question des ventes d’armes de la France à quelques dictatures moyen-orientales ? S’ils y songeaient, ses scénaristes pourraient s’inspirer de l’actualité.
En effet, suite à une plainte du ministère des Armées, la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) a convoqué trois journalistes pour « atteinte au secret de la défense nationale ».
Des émules de James Bond auraient-ils sapé ce secret en publiant une enquête pour un pool de médias ayant pignon sur rue : Radio France, Arte, Mediapart… ? En fait, leur crime est d’y avoir démontré que le gouvernement ment de façon éhontée sur ses ventes d’armes à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis. En effet, il prétend qu’elles ne leur servent qu’à se défendre, mais pas à tuer au Yémen, alors qu’ils y mènent depuis 2014 une guerre qui a déjà fait plus de 10 000 morts, surtout des civils.
Ce que ces journalistes ont révélé ne peut être contesté en haut lieu, car ils ont fondé leur enquête sur une note de la DRM (Direction du renseignement militaire). Intitulée « Yémen – situation sécuritaire », cette note avait été remise en septembre dernier à la ministre des Armées, au Premier ministre et à celui des Affaires étrangères. Et elle établissait que, entre autres armements de fabrication française, des chars Leclerc, des blindés Aravis, des Mirage 2000, des hélicoptères Cougar et Dauphin, des canons Caesar ainsi que des radars Cobra servaient aux troupes saoudiennes et émiraties contre la population yéménite.
Mais comme 60 % des exportations d’armes françaises vont au Proche et Moyen-Orient, et que Ryad et Abou Dhabi sont leurs principaux acheteurs dans la région, l’État français se fait discret sur le sujet. Et pour éviter que des données trop précises nuisent à ce business sanglant, mais très profitable pour les industriels de l’armement, il suffit de classer « confidentiel défense » toutes les informations dites sensibles qui s’y rapportent.
Premier avantage : cela permet d’incriminer toute personne qui, ne se pliant pas au secret imposé, brise le silence sur la question. Et puis cela couvre nos dirigeants quand ils abordent le sujet en mentant comme des arracheurs de dents. Car il faut un sacré culot pour, telle la ministre des Armées, signer d’une main des contrats d’armement et, l’autre main posée sur le cœur, parler d’une « guerre sale » en prétendant : « Tous nos efforts (visent à) essayer d’arrêter ce conflit. » Et peu après la parution de l’enquête « interdite », Florence Parly jouait encore à la blanche colombe : « À ma connaissance, ces armes ne sont pas utilisées de façon offensive (…) en tout cas, moi, je n’ai pas d’éléments de preuve permettant de dire cela »… alors qu’elle avait reçu et lu la note de la DRM le prouvant !
Il ne faut pas s’étonner que la justice, le ministère des Armées et la DGSI incriminent des journalistes qui n’ont fait que leur travail en publiant cette note. Car l’État ne serait plus l’État s’il ne mentait pas en permanence, et ne protégeait pas les mensonges de son personnel dirigeant, pour camoufler au bon peuple qu’il est au service du grand capital. Et pas seulement chez les marchands de canons.