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Grande-Bretagne : le Brexit, du chaos à l’absurde
Le gouvernement conservateur de Boris Johnson a usé de l’antique prérogative royale pour faire suspendre le Parlement britannique par la reine pour une durée record, cinq semaines, du 10 septembre au 14 octobre. Et même si la Haute cour écossaise a déclaré cette suspension illégale, elle continue à s’appliquer pendant que Johnson multiplie les artifices juridiques pour retarder l’application de ce jugement.
S’étant fait élire à la direction du Parti conservateur en promettant de faire sortir le pays de l’Union européenne (UE) au 31 octobre et à n’importe quel prix, Johnson entend empêcher les parlementaires de s’y opposer. Par la même occasion il veut montrer aux factions de son parti qui avaient contraint Theresa May à la démission, que, malgré ses gaffes et ses bouffonneries, il est un homme à poigne, qui ira jusqu’au bout du Brexit et qui sera sans pitié contre ceux qui se mettront en travers de son chemin.
Ainsi arrive-t-on à cette situation absurde où Johnson qui, depuis quatre ans, se pose en champion de la nécessité de rendre au Parlement britannique la « souveraineté » que lui aurait prise Bruxelles, veut priver ce même Parlement de tout droit de regard sur le Brexit et de tout moyen de s’opposer à un Brexit « dur ».
Ces manœuvres lui permettront-elles d’arriver à ses fins ? Nul ne peut le dire, d’autant moins qu’à peine arrivé au pouvoir à la fin juillet, il a très vite érodé sa marge de manœuvre au Parlement. Il est vrai qu’il avait hérité d’une situation où les conservateurs ne disposaient plus que d’une seule voix de majorité – et encore, à condition que les dix députés du DUP, le parti de la droite protestante d’Irlande du Nord, votent pour le gouvernement.
Or, depuis, les bancs conservateurs se sont éclaircis, passant de 316 députés à 286 en cinq semaines : sept députés ont démissionné pour marquer leur opposition à la politique de Johnson (dont deux ministres, parmi lesquels son propre frère), deux sièges ont été perdus lors d’élections partielles consécutives à des décès, et surtout 21 députés, dont des poids lourds du parti, ont été exclus pour avoir voté contre le gouvernement. C’est cette dernière mesure qui a choqué dans l’opinion publique, bien au-delà de la classe politique : exclure un député dans ces conditions, cela ne se fait pas dans le cadre bien policé des institutions britanniques, ou tout au moins seulement dans les coulisses. Or, au contraire, Johnson a tout fait pour que ces 21 exclusions soient aussi spectaculaires que possible, pour faire en sorte que les députés conservateurs restants tremblent pour leur carrière.
Pendant ce temps, la plupart des députés d’opposition constituaient un front visant à empêcher Johnson de quitter l’UE sans accord, le 31 octobre. Du coup, il collectionne les échecs. Non seulement il a perdu tous les votes importants au Parlement, mais il n’a pas réussi à empêcher l’adoption d’une loi le contraignant à demander à l’UE un délai supplémentaire jusqu’au 31 janvier, au cas où il n’aurait pas réussi à passer un accord de sortie pour le 19 octobre dernier délai. Qui plus est, Johnson a également échoué à faire adopter l’organisation d’élections anticipées pour le 15 octobre, élections dont il espérait évidemment qu’elles lui permettraient de retrouver une majorité.
Malgré la suspension du Parlement, Johnson se retrouve donc de fait dans une impasse similaire à celle qu’avait connue Theresa May. À défaut d’avoir une issue, il joue les fiers-à-bras, laissant entendre qu’il serait prêt à défier la loi que le Parlement vient juste d’adopter, pour sortir sans accord de l’UE le 31 octobre, afin de respecter ce qu’il appelle « la volonté du peuple » – le vote en faveur du Brexit de 37 % de l’électorat, il y a trois ans !
Ce qui paraît plus vraisemblable, néanmoins, c’est qu’il trouve un artifice pour obtenir un délai de l’UE sans le demander lui-même tout en provoquant une élection anticipée. Dans ce cas, le Parti conservateur et le Parti du Brexit, le parti ultra-souverainiste de Nigel Farage qui est arrivé en tête lors des élections européennes récentes, pourraient conclure un accord de répartition des sièges. Farage en a déjà fait la proposition et plusieurs ministres de Johnson ont repris cette idée à leur compte.
Si Johnson parvient à mener jusqu’au bout cette opération, elle entraînera de fait l’absorption des ultra-souverainistes et, sans doute, d’une partie des groupuscules d’extrême droite par le Parti conservateur. Ce ne serait pas la première fois : un processus similaire avait déjà eu lieu au début des années 1980. Comme à l’époque, un tel processus impliquerait un nouveau glissement à droite dans la vie politique et une montée en force de l’avidité patronale.
Face à cette menace, la classe ouvrière a plus que jamais besoin d’un parti à elle, lui offrant une autre perspective que de s’en remettre aux institutions politiques de la bourgeoisie, qui, durant ces trois dernières années passées sous le signe du Brexit, ont offert une caricature d’elles-mêmes.