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Algérie : Gaïd Salah est mort, le Hirak se poursuit
Le 23 décembre, quelques jours après la tenue d’une élection présidentielle qu’il avait imposée malgré le rejet massif de la population, Ahmed Gaïd Salah, qui était devenu l’homme fort de l’Algérie après la démission du président Abdelaziz Bouteflika, est mort à l’âge de 79 ans.
Cet ancien combattant de la guerre d’indépendance contre la France avait été nommé chef d’état-major de l’armée en 2004, par ce même Bouteflika. Gaïd Salah avait soutenu la candidature de celui-ci à un 5e mandat. C’est cette énième candidature d’un homme impotent et muet depuis des années, vécue comme l’humiliation de trop, qui a entraîné depuis le 22 février des manifestations exprimant une colère populaire longtemps contenue.
Rapidement, Gaïd Salah avait dû pousser Bouteflika à renoncer à briguer un nouveau mandat et à démissionner. Mais par la suite, toutes ses manœuvres pour tenter d’endiguer un mouvement populaire, qui continuait en exigeant la fin du « système », avaient échoué. Ni l’opération mains propres consistant à envoyer en prison un certain nombre de profiteurs trop visibles de ce système ni les tentatives de division, ni les menaces, la censure et les arrestations de militants et de manifestants, ni finalement l’élection présidentielle du 12 décembre, n’ont découragé les manifestants. Depuis septembre, Gaïd Salah lui-même à son tour était d’ailleurs devenu leur cible principale.
Les trois jours de deuil national décrétés pour les funérailles ont encore été l’occasion pour le régime de tenter de redorer un blason bien terni. La mise en scène médiatique de l’enterrement de Gaïd Salah, le 25 décembre, où on a vu des milliers de personnes accompagner le cercueil aux cris de « Armée, peuple, frères, frères », n’a cependant pas arrêté le mouvement populaire. Dès vendredi 27 décembre, les manifestants ont été de nouveau nombreux dans les rues, criant des slogans tels que « Les généraux à la poubelle et l’Algérie aura son indépendance ! », « Un État civil et non militaire ! »
La cible était désormais le nouveau président Tebboune, élu le 12 décembre pour être la nouvelle façade civile d’une armée toujours à la manœuvre. Cette façade s’est étoffée par la nomination d’Abdelaziz Djerad au poste de Premier ministre, un homme qui n’apparaît pas comme compromis dans la gestion récente du pays, mais qui n’en est pas moins lui aussi un pur produit du « système ». Djerad a fait ses preuves durant la décennie noire, tout comme le nouveau chef d’état-major Saïd Chengriha. Après la mort de Gaïd Salah, le nouveau président voudrait donner l’illusion qu’une page se tourne. Mais beaucoup de ceux qui depuis dix mois ont donné vie au Hirak (le mouvement) n’y croient pas et veulent poursuivre la mobilisation.
Les arrestations n’ont d’ailleurs pas cessé, et les droits élémentaires sont toujours bafoués. Le 20 décembre, la condamnation à dix-huit mois de prison de Mohamed Tadjadit a marqué les esprits. Surnommé le « poète du Hirak », il a été déclaré coupable d’atteinte à l’intérêt national pour ses poèmes déclamés sur les marches du Théâtre national ! Mais surtout, rien de fondamental n’a changé dans le quotidien des travailleurs et des classes populaires : quelques grands patrons sont en prison mais la loi patronale est toujours en vigueur. Quelques ministres et hauts fonctionnaires aussi ont été arrêtés, mais le pouvoir des hauts gradés de l’armée, qui ont la main sur la rente pétrolière, est intact.
Après dix mois d’une mobilisation inédite, beaucoup se demandent comment en finir avec ce système corrompu qui les écrase. Comment se débarrasser d’une caste d’officiers et d’affairistes qui ont fait main basse sur les richesses du pays ? Comment vivre librement et dignement et obtenir ainsi ce que les manifestants nomment « une nouvelle indépendance » ? Pour que le mouvement populaire débouche sur une issue favorable pour les classes exploitées, il faudra qu’elles se donnent les moyens de renverser non seulement les dirigeants actuels, mais cet appareil d’État qui est au service de la bourgeoisie algérienne et est aussi le relais de l’impérialisme, de son exploitation et de l’oppression qu’il perpétue.