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Haut-Karabakh : les avatars du droit des peuples
La deuxième trêve dans la guerre du Haut-Karabakh a été aussi peu respectée que celle du 10 octobre. Et pour les mêmes raisons, dans ce conflit qui dure depuis plus de trente ans entre deux pays du Caucase, l’Azerbaïdjan et l’Arménie.
Les dirigeants du premier ne se résolvent pas à la sécession de cette région arménienne, qui dépendait d’eux du temps de l’Union soviétique. Cette fois, ils se sentent assez forts pour en reprendre le contrôle. En tout cas, c’est ce que le clan du président Aliyev fait valoir à sa population, en espérant que le bruit du canon lui fera oublier l’aggravation de sa situation du fait de la crise. En cela, Aliyev Ilham est le digne fils d’Aliyev Heydar, ancien chef du KGB (la police politique), puis du Parti dit communiste d’Azerbaïdjan sous Brejnev et Gorbatchev, qui exploita, à la fin des années 1980, la fibre du nationalisme azéri, en voulant « désarménianiser » le Haut-Karabakh. Il suscita des pogroms contre les Arméniens d’Azerbaïdjan, dans le but d’asseoir sa mainmise sur « sa » république.
Quant aux dirigeants turcs, Erdogan en tête, qui appuient l’Azerbaïdjan de leurs tanks, drones, soldats et mercenaires, eux aussi ont trop besoin du cliquetis des armes, à l’extérieur, pour conforter leur situation affaiblie, à l’intérieur.
En face, les dirigeants mafieux du Haut-Karabakh ont si bien su imposer leurs intérêts et leurs hommes au sommet de la république « sœur » d’Arménie que cela leur garantit son soutien, et surtout les armes qu’elle achète à la Russie, à la République tchèque et à la France. Entre autres.
Devant cette guerre qui n’en finit pas, bien des commentateurs affirment que ses racines plongent dans la décision, du temps de l’URSS, de faire que cette région arménienne relève d’une république turcophone. Comme souvent, ici, l’anticommunisme à peine voilé le dispute à l’ignorance de faits pourtant aisément vérifiables.
Juste après Octobre 1917, le Haut-Karabakh se trouva faire partie d’une République démocratique de Transcaucasie, ce sud-Caucase que le tsarisme avait conquis au 19e siècle. Cet État englobait la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Hostile au bolchevisme, il se plaça sous la protection militaire de l’Allemagne et de son allié turc et, après la guerre mondiale, de la Grande-Bretagne puis de la France.
Sous leur protection, le Haut-Karabakh eut droit à un gouverneur… azéri et, dès 1919, des massacres d’Arméniens s’y produisirent. En mars 1920, les Arméniens furent massacrés à Chouchi (Haut-Karabakh), ce qui y entraîna une intervention militaire arménienne. La même année, par le traité de Sèvres, les impérialismes français et anglais dépecèrent l’Empire ottoman. Divisant pour régner, ils tracèrent des frontières dans la chair des peuples, créant des situations invivables et grosses de tueries à venir.
Malgré cela, et aussi à cause de cela, le pouvoir des soviets s’établit en Azerbaïdjan et en Arménie en 1920, puis, début 1921, en Géorgie. Reprenant ce qui avait été la forme d’organisation de la région après 1917, les bolcheviks russes et locaux décidèrent de former une République soviétique de Transcaucasie fédérant l’Arménie, la Géorgie et l’Azerbaïdjan, dont le Haut-Karabakh.
Dans ce Caucase dont les peuples se partageaient un même territoire depuis des siècles, c’était leur proposer un cadre de vie à la fois unifié, démocratique et souple, avec des délimitations administratives qui n’élevaient aucune frontière et sans qu’aucune nation y ait des droits supérieurs aux autres.
Certes, cela n’effaçait pas – et qui l’aurait pu ? – le poids énorme de tout un passé de massacres, de conflits séculaires. Et cela ne pouvait pas non plus résoudre tous les problèmes nationaux, surtout dans le cadre d’un seul pays, immense et arriéré, ravagé par la guerre mondiale puis civile.
Lénine, Trotsky et leurs camarades savaient que, pour amener les peuples de l’URSS à vivre, chacun et ensemble, une existence nationale harmonieuse, il fallait que le niveau général de la société fasse un bond gigantesque sur le plan culturel, humain, économique. Pour cela, il aurait fallu l’apport de forces extérieures et que la révolution l’emporte dans des pays capitalistes avancés. Ce ne fut pas le cas.
L’URSS resta isolée, et une bureaucratie contre-révolutionnaire s’y empara du pouvoir, qui allait tout écraser sous sa botte. En 1936, alors qu’il s’apprêtait à liquider le Parti bolchevique dans les procès de Moscou, Staline liquida la Fédération de Transcaucasie, en la divisant en trois républiques. Et, durant la Deuxième Guerre mondiale, il alla jusqu’à déporter certains peuples (Tchétchènes, Tatars de Crimée…).
Malgré ces horreurs et bien d’autres, une centaine d’ethnies purent au moins coexister pacifiquement en URSS pendant soixante-dix ans. Et, n’en déplaise à certains, le retour des pogroms, des massacres de populations ne doit rien à l’URSS, mais plutôt à sa dislocation en États rivaux. Certains pays dits démocratiques, telle la France, qui arment les cliques de bandits qui gouvernent l’ex-URSS, y ont aussi leur part.