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- Lutte ouvrière n°2738
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il y a cent ans
Janvier 1921 : le congrès de Livourne et la fondation du PC d’Italie
Cet article nous est adressé par nos camarades italiens de L’Internazionale (Italie – UCI)
Il y a cent ans, le 21 janvier 1921, dernier jour du congrès socialiste convoqué dans la ville de Livourne, la scission de celui-ci donnait naissance au Parti communiste d’Italie (PCd’I) section de l’Internationale communiste. Un groupe nombreux de délégués, sortis en chantant L’Internationale du théâtre Goldoni où se déroulait le congrès, se retrouva non loin de là, au théâtre San Marco, pour proclamer le nouveau parti.
Le prolétariat italien et ses meilleurs dirigeants avaient été plongés dans la vague révolutionnaire qui avait suivi la Première Guerre mondiale. La naissance du PCd’I en résultait. La révolution prolétarienne, si longtemps évoquée, était devenue réalité avec la révolution russe d’Octobre 1917, qui avait décrété le pouvoir des conseils d’ouvriers, de paysans et de soldats. La haine contre les gouvernants, la bourgeoisie, les états-majors, ressentie par des millions de jeunes envoyés se battre dans les tranchées, trouvait ainsi un formidable point d’appui. Le mot d’ordre Faire comme en Russie avait commencé à circuler jusque sur les champs de bataille. La crise économique qui avait suivi la guerre avait encore accru la popularité des idées socialistes et révolutionnaires.
Une vague d’enthousiasme multipliait les énergies du mouvement ouvrier. Tandis que les adhésions aux vieilles organisations ouvrières affluaient, l’Internationale communiste à peine constituée relevait le drapeau de l’internationalisme prolétarien, piétiné par la quasi-totalité des partis socialistes durant la guerre. De nouveaux courants plus combatifs s’affirmaient dans le mouvement socialiste. Les partis communistes prenaient corps.
Dès sa fondation, en 1919, la nouvelle Internationale s’était donné l’objectif de former des organisations authentiquement communistes, mais la force de la tradition et des liens avec l’ancien parti avaient retardé, en Italie comme dans d’autres pays, le choix de la rupture.
En Italie, les grèves et les occupations des usines et des terres, les insurrections spontanées survenues au cours des années 1919 et 1920, avaient été vaincues grâce à la trahison des chefs syndicaux, socialistes en paroles mais réformistes en fait, de la Confédération du travail (CGL). Les louvoiements, le manque de fermeté, la confusion politique des chefs socialistes, même se disant « maximalistes » et opposants des réformistes, avaient eux aussi paralysé le mouvement révolutionnaire. Pendant la période la plus brûlante de ces luttes de classe, les travailleurs n’avaient pas pu compter sur un parti résolu à aller vers la prise du pouvoir.
Au congrès de Livourne, toutes les composantes du Parti socialiste se déclarèrent favorables à l’adhésion à l’Internationale communiste, y compris le dirigeant réformiste Filippo Turati. Mais, dans la discussion autour des 21 conditions d’admission fixées par l’Internationale, les divergences ressurgirent. Ce n’était pas une question formelle. Bordiga et les autres représentants du courant communiste insistaient sur la nécessité d’exclure les réformistes et de se placer entièrement sur le terrain défini par l’Internationale. Pour le maximaliste Serrati, qui nommait sa fraction « les communistes unitaires », la ligne de l’Internationale devait être suivie en tenant compte des particularités italiennes, autrement dit sans exclure l’aile réformiste du parti. Lors du vote final, la motion réformiste obtint 14 695 voix d’adhérents, celle des « communistes unitaires » de Serrati 98 028, celle des communistes 58 783.
Pietro Nenni, représentant d’un maximalisme confus, écrivit : « C’est dans la scission, qui laissa deux partis communistes ennemis féroces l’un de l’autre, et dans l’un desquels étaient prisonniers les réformistes et les centristes, que l’on doit rechercher la cause de la désorientation qui frappa les masses et qui les offrit, sans défense, aux assauts de la réaction. » Cette analyse occultait la responsabilité écrasante des dirigeants socialistes réformistes, dont la politique avait été un obstacle à la révolution. Une responsabilité qu’ils partageaient avec les maximalistes, adeptes de la phrase révolutionnaire mais incapables d’action, qui avaient couvert les réformistes sur leur gauche et refusèrent de se joindre au nouveau parti communiste.
Peu après le congrès de Livourne, le 29 janvier, celui de la Fédération des jeunesses socialistes aboutit à la création de la Fédération des jeunesses communistes. L’historien du mouvement ouvrier Giovanni Gozzini écrit: « Elle représentait une force organisée non négligeable, égale en nombre mais certainement supérieure par la solidité et l’ancienneté de ses structures à celle du nouveau Parti communiste, avec 55 813 inscrits, leur nombre ayant augmenté de plus de 700 % entre 1918 et la fin de 1920. »
Même sans la Fédération des jeunesses, le mouvement communiste était essentiellement fait de jeunes. Là où manquait l’expérience, se trouvaient des réserves de courage, d’enthousiasme et d’esprit de sacrifice. Parmi les dirigeants du parti à sa fondation, aucun n’avait dépassé quarante ans, à part Antonio Graziadei qui en avait 48. Amadeo Bordiga, en avait 32, Umberto Terracini 26, Antonio Gramsci 30, Palmiro Togliatti 28 et Bruno Fortichiari 29. Parmi les inscrits, l’âge moyen était encore moins élevé.
Le jeune Parti communiste, malgré des erreurs et et une politique souvent sectaire, fut le premier parti à militer pour la dictature du prolétariat en Italie, en opposition à la formulation ambiguë de « conquête des pouvoirs publics » du vieux programme socialiste. Il le fit parmi les travailleurs et avec l’appui d’une fraction non négligeable d’entre eux. Suivant les enseignements de la révolution russe, il sut déplacer le centre de son action du terrain électoral vers l’intervention au sein des masses et fut la composante la plus active et la plus résolue de la lutte contre le fascisme de Musssolini.
Ce n’est pas la scission de Livourne qui permit la victoire de celui-ci, mais le reflux général du cycle révolutionnaire. Le même phénomène qui favorisa la dégénérescence bureaucratique de l’Union soviétique renforça dans tous les pays les courants politiques et les gouvernements les plus hostiles au prolétariat. La bourgeoisie regagna du terrain et son économie retrouva une stabilité précaire. Elle put compter sur l’appui du Parti socialiste, qui sabota la résistance ouvrière aux agressions fascistes, encourageant toutes les illusions dans la protection offerte par la légalité. Au moment où les fascistes en chemise noire incendiaient les Bourses du travail, agressaient et tuaient les travailleurs dans les villes et dans les campagnes, il ne sut qu’appeler à la patience, à la non-violence, à supporter les exactions.
Au fur et à mesure de la victoire du parti de Mussolini et de sa transformation, passant d’une agence d’assassins à la solde des industriels et des grands propriétaires terriens à une solution de remplacement du pouvoir bourgeois, l’activité du Parti communiste devint toujours plus difficile. Ses dirigeants et militants les plus connus furent arrêtés. L’Union soviétique, jusque-là point d’appui du mouvement révolutionnaire mondial, devenait un rempart du conservatisme social. La liquidation de l’ancien groupe dirigeant du PCd’I, surtout lié à Bordiga, se fit sous l’influence de la nouvelle orientation stalinienne en Russie.
Pour les militants d’aujourd’hui, les enseignements des premières luttes des communistes italiens restent une partie intégrante de leur patrimoine politique révolutionnaire, de même que la conscience que la construction d’un nouveau parti communiste parmi les travailleurs devra s’appuyer sur cette expérience.