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Dans le monde
Algérie : crise sociale et réaction des travailleurs
En Algérie, les travailleurs de nombreux secteurs confrontés à l’effondrement de leur pouvoir d’achat sont entrés en lutte pour défendre leur droit à l’existence.
Ces grèves interviennent dans un contexte de crise politique ouverte depuis le déclenchement du Hirak, le puissant mouvement populaire qui en 2019 avait conduit à la démission de Bouteflika.
Toutes les tentatives de l’actuel président, Abdelmadjid Tebboune, pour faire taire la contestation et trouver une issue à la crise politique se révèlent être un échec. Après le camouflet subi lors du référendum sur la Constitution, les élections législatives anticipées qui auront lieu le 12 juin, présentées comme un gage d’une « Algérie nouvelle », semblent massivement rejetées. La libération de détenus d’opinion et la prétendue volonté de dialogue du gouvernement n’ont pas non plus empêché la reprise des marches hebdomadaires du hirak, après un an de suspension pour cause de pandémie.
Si leur persistance malgré la répression exprime la détermination des « hirakistes », l’ampleur des marches s’est cependant considérablement réduite. L’espoir de changement suscité par le mouvement a débouché sur une certaine désillusion. Les forces politiques qui agissent en son sein, des démocrates du PAD aux islamistes du Rachad, affirment toutes vouloir dégager le « système » et construire une « Algérie libre et démocratique », mais sont en fait respectueuses d’un ordre social qui écrase la population. Elles sont indifférentes aux luttes des travailleurs qui tentent d’imposer leurs droits syndicaux et qui luttent pour leur survie.
Officiellement, au moins 500 000 travailleurs auraient perdu leur emploi en 2020, sans qu’aucune allocation vienne compenser la perte de salaire. Avec la flambée des prix et la dévaluation du dinar d’un quart de sa valeur, le pouvoir d’achat s’est effondré. Près de la moitié des onze millions de travailleurs gagnent moins de 30 000 dinars (175 euros) et beaucoup gagnent bien moins.
Aussi, dans le secteur public, les luttes pour les salaires se sont multipliées durant le mois de ramadan. Employés communaux, personnel de santé, personnel de l’éducation, de la Poste, des impôts et pompiers… ne se résignent pas à faire les frais d’une crise qui les pousse inexorablement vers la misère. Le journal El Watan rapporte les propos d’un employé communal en grève, payé 18 000 dinars (85 euros) et qui n’a pas vu la revalorisation de 2 000 dinars promise par Tebboune. Ses collègues embauchés dans le cadre d’un dispositif d’insertion sont payés entre 5 400 DA et 11 000 DA. « Que puis-je acheter pour mes enfants avec cette misère de 5 400 DA ? » dit l’un d’entre eux.
Parties de la base ou à l’initiative de syndicats locaux, ces grèves se sont propagées malgré les directions syndicales, dont les travailleurs se méfient, en particulier celle de l’UGTA qui est un fidèle soutien du pouvoir.
C’est hors du cadre syndical que la grève des enseignants s’est étendue, comme la très populaire grève de la protection civile. Les pompiers n’ont cessé d’être sur le front, avec la pandémie, la multiplication des incendies et les inondations, et ils ont dit qu’ils en ont assez de gagner un salaire de base inférieur au salaire minimum, pour des semaines qui dépassent les 40 heures. Excédés de ne pas toucher les primes qu’on leur doit, de devoir travailler 80 heures de plus gratuitement, ils ont bravé l’interdiction de manifester qui leur est faite, se heurtant aux forces de répression.
Face à cette effervescence sociale, le pouvoir a suspendu 230 pompiers, en les accusant de « complot contre le pays ». L’armée est même sortie de sa relative réserve. Dans les colonnes de sa revue, El Djeïch, elle a estimé que « la multiplication des mouvements de grève et de protestation observés ces derniers jours sur la scène nationale vise à provoquer la rue et à généraliser le chaos afin de faire échec aux prochaines élections législatives ». Les protestataires sont accusés de trahison et d’être poussés « par des partis hostiles à l’Algérie ».
Des menaces de guerre civile sont ainsi brandies, afin de créer un climat de peur et de tenter d’éteindre l’incendie social qui couve. Elles ne suffiront peut-être pas à l’empêcher de s’étendre.