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Colombie : face à la mobilisation populaire, le président recule
Mercredi 28 avril, les centrales syndicales de Colombie, soutenues par les organisations indigènes et les partis de gauche, appelaient à une journée nationale d’action contre la réforme fiscale du gouvernement de droite du président Ivan Duque.
Cette réforme s’en prend aux classes populaires et épargne les entreprises et les plus riches. Duque est un disciple de l’ex-président Uribe, autre défenseur des possédants, dont le cœur penchait vers l’armée, les paramilitaires et même les narco-trafiquants. Avec Duque, les assassinats de guérilleros ont continué malgré l’accord de paix, mais aussi les meurtres de militants ouvriers ou les attaques contre les organisations sociales ou indigènes. Il y en a eu 75 rien que cette année, et les manifestations sont durement réprimées. En 2019, il y avait déjà eu des grèves nationales et des manifestations populaires massives appelées par les mêmes organisations.
À l’annonce de la journée nationale d’action, Duque a appelé la population à encaisser dans les prochaines semaines les sacrifices « les plus difficiles de leur vie », en dénonçant les manifestations comme un « attentat à la vie ». Elles n’ont pas empêché le succès de la grève générale. Trois millions de manifestants se sont retrouvés pour dénoncer le gouvernement et sa politique, aux cris de « Maintenant ou jamais » et « Si la loi continue, la grève continue » ou encore : « Si un peuple manifeste en pleine pandémie, c’est que son gouvernement est pire que le virus ».
Dans les villes de Calí, Bogotá et Medellín, la tension est montée. Dès le matin, la police a arrêté des manifestants, entraînant des affrontements. Des véhicules ont été incendiés, des banques vandalisées, des supermarchés pillés, des commissariats attaqués et une statue de colonisateur déboulonnée.
La jeunesse et les quartiers populaires étaient dans la rue. Leur colère s’exprimait bien au-delà de la réforme annoncée, contre une situation économique, sociale et sanitaire très dégradée. Ces quartiers ne survivent que grâce à des petits boulots, rendus difficiles voire impossibles par un confinement très policier, ce qui a affamé une partie de la population. La misère atteint désormais 42 % de la population et, dans un pays où les aides sociales sont inexistantes, il faut toujours payer le loyer, l’électricité ou les médicaments au prix fort. Or la crise sanitaire a renchéri les prix. Quant à la jeunesse, elle est censée poursuivre les cours à distance, alors que beaucoup n’ont pas accès à Internet et n’ont d’autre perspective que le chômage.
Là-dessus, la réforme prévoit d’augmenter le taux de la TVA sur les produits de première nécessité, l’électricité, le gaz, l’eau, l’essence. Elle entend geler les salaires des employés du secteur public jusqu’en 2026 et élargir l’assiette de l’impôt, pour l’étendre à trois millions de salariés modestes. Les riches ne verront leur impôt augmenter que de 1 %, et seulement si leurs revenus dépassent 1,3 million de dollars, et de 2 % quand ils excèdent 4 millions.
Il n’est donc pas étonnant que cette réforme ait fait éclater une colère rentrée depuis des années. La répression aurait fait au moins 35 morts, 800 blessés et entraîné plus de 400 arrestations. Deux femmes ont été violées par des policiers. Bien que le président Duque ait annoncé son intention de faire appel à l’armée pour ramener le calme et que son compère Uribe ait appelé, sur les réseaux sociaux, policiers et soldats à se servir de leurs armes contre la population, la colère n’est pas retombée. Le lendemain, le ministre des Finances était démis de ses fonctions. Duque prétend depuis vouloir ouvrir le dialogue. Mais il n’est pas parvenu à ce jour à faire refluer la mobilisation, malgré l’effort des syndicats et des partis politiques de gauche qui appellent à arrêter la grève nationale puisque, d’après eux, satisfaction a été obtenue.
Mais la classe ouvrière comme la paysannerie pauvre sont confrontées à des problèmes qui vont bien au-delà de cette réforme fiscale, qui sont indissociables en réalité des rapports de classes, du sous-développement et de la place même de la Colombie dans l’économie mondiale. Le gouvernement ne cache d’ailleurs pas qu’il prépare une énième réforme du système de santé qui va accélérer sa privatisation et exclure de l’accès aux soins une partie encore plus grande de la population.
Finalement, le président a donc remballé sa réforme. Mais la colère continue de s’exprimer. Mardi 11 mai était prévue la 13e journée de grève nationale.